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Critique de colimasson


No steak mais aussi no escalope, no tripes, no rognons…échine, poitrine, travers, palette, rouelle, gigot, demi-coffre, lamb & mutton shop et autres affriolants abats, des amourettes au thymus. le livre d'Aymeric Caron revendique le végétarisme le plus complet, duquel il exclut également le poisson (parce qu'il s'agit d'un être sentient) et le lait (parce qu'il résulte de l'exploitation de dames laitières), avec une exception toutefois pour les oeufs, les yaourts et le miel (les abeilles ne souffrent pas de l'exploitation mellifère ? il suffit de voir le film Des abeilles et des hommes pour en douter).


Estimant que nous n'avons plus besoin d'informations objectives pour nous convaincre de la pertinence qui sied au régime végétarien –et en effet, ces dernières années ont permis à n'importe quel quidam de prendre connaissance des conditions d'élevage industrielles des animaux par le biais de multiples documents et vidéos-, Aymeric Caron se propose plutôt de bâtir une petite philosophie du végétarisme. Manque de pot, cette philosophie est plutôt foutraque et tient de guingois, malgré la séparation de ce No Steak en plusieurs pièces argumentatives de choix. On veut bien considérer avec intérêt chacun des chapitres : ils valent ce qu'ils valent, certains étant très instructifs lorsque d'autres sont d'une démagogie qui nivelle le discours par le bas. le bémol principal apparaît lorsque l'enchaînement des chapitres fait ressortir des contradictions violentes qui ne sont pas imputables à la condition du végétarien en général, mais qui sont le résultat de mascarades, révélation des divers costumes que revêt Aymeric Caron pour mieux convaincre (embobiner) son lecteur. No steak donne ainsi la regrettable impression de déambuler à travers les rayons d'un magasin proposant différents packs de « régime sans viande ». Les marques nationales sont le « végétarien », le « végétalien », le « végane », le « flexitarien » et le « pesco-végétarien » ; les marques discount excluent les bébés animaux ou permettent de se racheter de la souffrance infligée aux animaux d'élevage par la vénération louée aux animaux de compagnie ; les marques de luxe excluent tout produit animal alimentaire jusque dans l'huile de palme contenue dans les biscottes, les gâteaux industriels, les céréales mais aussi les produits cosmétiques. A partir de là, la prise de position dégénère vite puisque, comme le disait le Groland : l'homme qui ne pollue pas est un homme mort. Mieux que ça : puisque l'homme mort continue à influencer son environnement en se décomposant et en rejetant des particules néfastes pour l'atmosphère et les sols, l'homme qui ne pollue pas est l'homme qui n'existe pas. Mais l'homme qui n'existe pas ne peut rien faire pour améliorer la vie sur terre.


Le discours d'Aymeric Caron est souvent agaçant car il transforme le végétarisme en compétition. Qui sera le plus cohérent ? le plus intègre ? le plus incorruptible ? Même s'il approuve la moindre tentative visant à diminuer sa consommation de viande, Aymeric Caron ne peut s'empêcher de faire son apparition et de fanfaronner discrètement sur les victoires de son engagement contre ses goûts et instincts alimentaires originels. On comprend qu'il soit fier de lui et qu'il veuille démontrer que ses efforts ne sont pas vains, puisqu'ils lui permettent d'améliorer son estime de lui-même, mais ce comportement risque aussi de laisser dubitatif le lecteur qui n'aurait pas encore atteint son niveau de végétarisme : il faut avoir vraiment souffert d'abnégation pour ne pas pouvoir s'empêcher de réitérer à tout propos la preuve de la pertinence de son engagement.


Mais peut-être No steak ne me convint-il pas car Aymeric Caron et moi ne partageons pas le même point de vue philosophique ? S'il est une partie de son livre que je trouve indispensable, c'est bien celle-ci : « Parce que la morale nous commande d'arrêter la viande ». En évoquant Descartes, Rousseau Peter Singer, Tom Regan, Gary Francione, Jeremy Bentham…, Aymeric Caron nous fait prendre conscience des principes moraux qui peuvent entraîner chaque individu vers le végétarisme (ou loin de lui). Si l'auteur se juge plutôt déontologiste et abolitionniste, je me situe plutôt du côté des welfaristes, conséquentialistes et utilitaristes (on découvrira également l'existence des spécistes et anti-spécistes, des anthropocentristes, des pathocentristes, des biocentristes égalitaristes et des biocentristes hiérarchiques, et enfin des holistes : tout un programme !). Ce qui me sépare d'Aymeric Caron est donc énorme : si lui souhaite voir disparaître toute forme d'exploitation animale aboutissant sur une mort précoce et douloureuse parce que l'animal est un être sentient, je considère que cette position est naïve car elle nie la dimension inéluctable de la mort et le caractère absurde de toute existence. Pour un peu, Aymeric Caron nous ferait presque de la psychanalyse animale : au nombrilisme humainement égoïste succèderait le nombrilisme animalement altruiste. Pauvres bêtes ! elles sont exploitées, souffrent et doivent mourir -oui, et alors ? C'est le sort réservé à tout être vivant. L'argument le moins approprié surgit lorsqu'Aymeric Caron croit bon d'évoquer ces scènes qui ont ému l'opinion publique, dans lesquelles on voit intervenir un animal d'une espèce X pour « sauver » un animal d'une espèce Y comme preuve de la bonté et de la gratuité altruiste du comportement animal. On peut aussi n'y voir qu'une nouvelle démonstration d'anthropomorphisme.


Plus généralement, No steak donne l'impression d'être avant tout un ouvrage en la gloire de l'homme (végétarien, végétalien ou mieux encore végane). L'intérêt porté par Aymeric Caron aux animaux est incontestable mais sa réflexion ne se poursuit pas à long terme. L'énumération intarissable des célébrités végétariennes laisse interrogatif : s'agit-il d'ajouter son nom à ce Panthéon des héros quotidiens ? Devient-on végétarien parce qu'« une étude menée en 2011 par des étudiants de Harvard semble [.. ;] l'attester : après avoir interrogé différents groupes de population sur leurs pratiques sexuelles, ils ont conclu que les végétariens sont plus nombreux que les autres à pratiquer le sexe oral ! » ?


Aymeric Caron est un conséquentialiste qui s'ignore : tous les moyens sont bons pour convaincre le premier lecteur venu à se convertir au végétarisme. C'est la raison pour laquelle son livre fait se côtoyer la fierté la plus puérile et la plus naïve à la portée symbolique, morale et historique de son steak synecdotique.
Lien : http://colimasson.over-blog...
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