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Critique de Woland


El Reino de Este Mundo
Traduction : René L.-F. Durand

ISBN : 9782070372485

Paru en 1954, ce court roman d'Alejo Carpentier (qui avait du sang breton par son père) se lit sans aucune difficulté et ravirait sans nul doute les Sopo et CRAN de notre triste époque si l'auteur ne gardait pas ses distances par rapport à l'influence du sang blanc dans les veines des indigènes de Saint-Domingue et de Haïti.

Car le thème du roman, c'est bien sûr l'exploitation coloniale, par les Français, de l'île d'Hispaniola, découverte par Colomb et ses Espagnols. Au début, mis à part les natifs, l'île, qui ne formait alors qu'un seul territoire, constituait un excellent repaire pour les flibustiers et frères de la côte, qui y venaient aussi chasser le boeuf sauvage et se ravitailler. Tout cela dura à peu près jusqu'en 1700, date à laquelle les colons français obtinrent de désarmer les pirates. Leur rêve : développer une économie de plantation de canne à sucre et, en 1720, Saint-Domingue (ou Hispaniola, comme on voudra), francisation du nom espagnol de l'île, devient bel et bien le premier producteur de canne à sucre. Malheureusement, elle va devenir aussi, en très peu de temps, l'une des plaques tournantes de la traite occidentale des Noirs et de l'esclavage.

De nos jours, Hispaniola se compose de Saint-Domingue, à l'ouest de l'île, et de Haïti, à l'est. Deux républiques indépendantes et aussi tourmentées l'une que l'autre.

Carpentier en donne une image de la fin du XVIIIème siècle, alors que la tonitruante Révolution française pointe le bout de son nez - révolution à laquelle d'ailleurs participera l'île. Ce sont des scènes, des images-choc (enfin, c'est ainsi que je l'ai perçu), sans véritable intrigue classique, le point important rejoignant le grand problème actuel qui agite Tahiti à chaque changement de gouvernement : celui des métis.

Maintenant que les Blancs se sont retirés, Haïti-St Domingue ont retrouvé leurs propriétaires légitimes : les Noirs. Seulement voilà, dès le XVIIIème siècle, les métis avaient commencé à prendre le dessus. Et nul n'ignore que l'on reproche suffisamment à une certaine "élite" métisse de confisquer tous les postes et de créer les dictatures comme celle de Duvalier.

Il eût été facile pour Carpentier d'accuser le sang blanc, mêlé au sang noir, d'être seul responsable des malheurs de St-Domingue et d'Haïti. Mais l'homme, qui n'était pas encore ministre plénipotentiaire de Cuba, était fin et, surtout, cherchait une explication qui fût à la fois le plus exacte possible et tînt compte de la réalité humaine, au-delà de la couleur de peau. S'il déplore le métissage, il en arrive très vite à la conclusion qu'une société multiculturelle est impossible sans celui-ci. Si c'est pour donner de tels résultats, autant rester avec des colons esclavagistes - et pourtant Dieu sait si ceux-ci n'étaient pas tendres avec leurs bétail humain.

Bref, c'est le serpent qui se mord la queue ...

Et quand la Révolution débarque à Hispaniola, eh ! bien, les métis se glissent tout simplement à la place des Blancs et ne sont guère plus miséricordieux envers les véritables autochtones. Dictature (déjà), émeutes, bains de sang ... et effondrement de la dictature qui sera remplacée par une autre ou par un autre régime guère plus mirobolant. Bref, les métis imitent en toute tranquillité les colons français (et anglais) et méprisent leurs frères dont un sang uniquement noir coule dans les veines.

Curieux, non ? ...

Mais, dans le fond, très humain. La fièvre du pouvoir, celle de l'or et celle de la corruption ne possèdent, pour leur part, aucune couleur de peau bien précise : elles sont universelles.

Prétendre que la corruption s'installe avec Le Blanc ? C'est risqué et Carpentier n'a pas cette sottise. Les Blancs n'étaient pas tous des brutes et Carpentier le sait. Comme il sait que le maître du "Royaume de ce monde" - il faut lire l'exergue - n'est autre qu'un démiurge, génial sans doute mais que nous appelons aussi Satan. le Seigneur de la Matière gouverne le Royaume de ce Monde : le Christ Lui-même l'a dit. Et le Diable peut se glisser sous n'importe quelle peau ...

"Le Royaume de Ce Monde" en est une preuve brillante, solidement argumentée, un peu trop fragmentée à mon goût, mais qui révèle un penseur et un écrivain sincères, qui fait son métier d'écrivain : chercher la Vérité sans céder à la facilité.

Signalons pour finir que viennent ensuite "Le Partage des Eaux" et enfin "Le Siècle des Lumières." Nous en reparlerons. Pour l'instant, jetez toujours un coup d'oeil sur "Le Royaume de Ce Monde" et, si vous en avez le temps, venez nous dire ce que vous en aurez pensé. ;o)
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