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Critique de SophieChalandre


Court roman, le Royaume de ce monde du grand prosateur Alejo Carpentier propose une fiction historique ébouriffante basée sur le processus d'indépendance d'Haïti (Saint Domingue à l'époque).
Mettant en scène l'histoire de l'hégémonie coloniale Blanche du point de vue de la communauté des esclaves Noirs, l'auteur revisite furieusement et de façon ouvertement romancée l'élan historique de la transition d'Haïti de l'esclavage vers l'émancipation et de la colonie vers la république : de la première grande révolte d'esclaves en 1791, jusqu'à la révolution de 1804 et la déclaration d'indépendance d'Haïti, première république Noire, le tout sous l'égide des idéaux émancipateurs de la Révolution française.

Carpentier utilise à merveille l'antagonisme culturel et religieux entre les deux communautés comme catalyseur des secousses historiques haïtiennes : la culture et la religion européennes des élites dominantes, statiques, voire conservatrices, et celles dynamiques des esclaves dominés et invisibles, chaque communauté proposant une lecture contradictoire de l'Histoire. Brouillant la frontière entre évènement historique et surnaturel, mobilisant des causalités irrationnelles pour dire L Histoire, ce dynamisme du sacré, constant dans la littérature de Carpentier, se déploie dans une suite de métamorphoses, rituels ancestraux, mythes et personnages historiques revisités, et illustre une thèse majeure de l'auteur : la puissante vigueur du prodigieux.

Dans le royaume de ce monde, l'auteur expose également avec brio un thème qui lui est cher parce que prégnant sur tout le continent latino américain, dans son histoire comme dans son identité : le syncrétisme culturel d'une part (largement étudié par l'anthropologue cubain Fernando Ortiz et ses analyses sur la transculturation que Carpentier connaît bien), et acculturation d'autre part.
C'est sur fond de ce panorama que ce roman évoque la stabilité des structures dominantes coloniales qui réaffirment les privilèges et les exclusions et que les révoltes et les républiques ne modifient pas : les mulâtres républicains haïtiens prendront le pouvoir et domineront à leur tour. Pour Carpentier, tout renversement historique n'est qu'un conflit d'intérêt où la place dominante est à saisir au détriment des dominés, la couleur de peau devenant bien plus un déterminant social et culturel que racial. Alejo Carpenier développe ici la même vision historique que dans son ouvrage le siècle des Lumières : L Histoire comme chaos infernal infiniment répété dans lequel bouleversements et révolutions entraînent les hommes. Mais Carpentier offre à l'humain une issue possible à cette fatalité de la condition humaine : persister dans ce désir sauvage d'exister et "d'aimer au milieu des fléaux".

Enfin, et je terminerai par une idée centrale évoquée dans le prologue de l'auteur (dans la version originale de son édition) : "la chronique de l'Amérique n'est rien d'autre que la chronique du réalisme merveilleux". Carpentier instaure, dans une prose ciselée et virtuose, un langage singulier en connectant baroque et réalisme magique, comme voie privilégiée pour rendre compte des réalités latino-américaines.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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