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Critique de Chouchane


Edouard Limonov n'est pas très sympathique : prétentieux, provocateur, cynique, mauvais fils, narcissique,… pourtant la puissance de l'écriture d'Emmanuel Carrère opère. Et, Limonov finit par nous donner des leçons de vie et de courage. Carrère dit lui-même "Ce mélange de mépris et d'envie ne rend pas mon héros très sympathique (...) Arrogant, mais d'une loyauté à toute épreuve. Dépourvu d'indulgence, mais attentif, curieux et même secourable". Cet homme promis à rien, né dans la grisaille soviétique, fils d'un d'un militaire tchékiste de l'ex.URSS va très tôt être sûr de son talent, sûr de ne pas vouloir vivre la vie de ses parents et sûr de vouloir changer le monde. C'est ainsi qu'il va devenir, sans le chercher vraiment, tour à tour voyou, poète de l'underground soviétique, tailleur, SDF à New york, valet de milliardaire, mercenaire pendant la guerre du Kosovo, chef de parti politique en Russie, prisonnier, écrivain adulé et… prix Renaudot ! Je ne suis pas sûre de sa lucidité à son égard, en revanche il sait voir chez les hommes qu'il croise les lâchetés et les hypocrisies qui les constituent. Sa constance à être lui-même, sa bravoure à rester fidèle à ses idéaux même les plus… cons et les plus réactionnaires sont un presque un enseignement de moralité. Tout le grandit. On l'enferme dans une sombre prison russe, dans une cellule trop petite pour des prisonniers en surnombre, il n'a donc pas de lit. Que fait-il ? il déplie, sans état d'âme, une couverture sur le sol parce qu'il trouve normal que dernier arrivé, il couche parterre. Il ne va jamais regarder la télévision – perte de temps – jamais jouer aux cartes avec les autres prisonniers –perte de temps – jamais dormir plus que nécessaire – perte de temps, et il écrit ce que Carrère considère comme son plus beau roman : le livre des eaux. Dans une prison de solides gaillards russes, lui le poète filiforme va finir par être respecté. Voilà un homme que la vie écrase et qui s'en sert pour vivre des expériences uniques. Il est de corvée de nettoyage, il en profite pour pratiquer la méditation et va vivre une expérience unique de nirvana. SDF à New York et il vit des expériences homosexuelles dans des bacs à sable avec d'autres plus paumés que lui, et il en tire un livre que son éditeur français intitulera « le poète russe préfère les grands nègres ». Les exemples sont à l'avenant, il en a à toutes les pages. Rien ne fait fléchir Limonov il recycle tout en littérature et poésie, en aventures et expériences de vie. Ce type rend possible la construction d'une vie tellement singulière qu'il semble s'être engendré lui-même. Malgré ses choix politiques malsains et trop provocateurs, malgré son goût suspect pour la guerre ou son attirance pour des fascistes, Limonov de et par Carrère mérite d'être connu parce que rien ne peut le résumer ou le réduire et c'est assez rare pour être intéressant. Carrère n'est pas pour autant complaisant avec son sujet, on sent que plusieurs fois il a du mal à avancer dans la noirceur du personnage. C'est à ces occasions qu'il parle de lui et ces moments de portraits croisés éclairent un peu plus l'originalité d'un Limonov. Face au rebelle, licencieux et assoiffé d'expériences, Carrère se dépeint au presque même âge en jeune bourgeois parisien, un peu falot, grandissant sans mérite dans une famille d'intellectuels respectés et dont les origines russes vont le guider naturellement vers ce pays. C'est tout le génie de Carrère de choisir -au milieu de ce très grand terrain de sujets en tout genre qu'est la Russie post-soviétique - Limonov et, à travers lui, de nous parler d'un quart de siècle d'histoire et de vie d'homme.
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