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Critique de Glaneurdelivres


« Il semble que la jeunesse du monde proteste et s'agite, surtout dans les pays qu'on appelle développés, industrialisés. Pour quelles raisons ? Personne ne le sait vraiment. Cela paraît une insatisfaction générale, un agacement, un vague désir d'autre chose. »

Avec ce livre de Jean-Claude Carrière, on fait un retour en arrière dans deux années insolentes, lyriques, bariolées, et sexuellement désordonnées.
Ces deux années particulières, ce sont 1968 et 1969, qui auront fait bouger des sociétés assoupies et qui nous auront ouvert des portes inconnues.

« Les années d'utopie » est un livre de souvenirs, de rencontres, et de réflexions, qui commence à New York, où Miloš Forman, célèbre réalisateur et scénariste de cinéma, d'origine tchèque, et Jean-Claude Carrière, réalisateur et scénariste français, essaient de travailler ensemble à l'élaboration d'un scénario de film sur les « run away kids ». Mais ce scénario va être mis de nombreuses fois de côté en raison de plusieurs événements bouleversants… Comme si plein de forces néfastes s'étaient liguées pour les empêcher d'écrire l'histoire d'une jeune Américaine qui abandonne, un matin, sa famille…

Le sous-titre de ce livre pourrait aisément être « Des fleurs à NYC, des tanks à Prague, et des pavés à Paris » … Jean-Claude Carrière essaie de retrouver quelques images et quelques bruits de ces années-là. Il les enchaîne avec le fil du temps. Il ne prétend ni dérouler l'Histoire, ni la commenter…
Il griffonne quelques croquis… Il nous livre de nombreuses anecdotes…
Il s'interroge et réfléchit, et nous, avec lui… « Je sais très bien que, si je commence à analyser ou même à décrire mes sentiments, mes émotions d'alors, j'ai toutes les chances de m'abuser et par conséquent de mentir. Car nous ne revenons au passé que chargés de notre présent. »

A propos des années qu'il évoque dans ce livre, J-C Carrière a travaillé aux films « Taking off » de Miloš Forman, « Milou en mai » de Louis Malle et
« L'insoutenable Légèreté de l'être » de Philip Kaufmann, d'après le roman de Milan Kundera.

A New York, en 1968, les hommes d'affaires regardent avec dédain les hordes paisibles couchées dans l'herbe des parcs, dont le crédo est l'oubli de l'argent et qui ne parlent que d'amour.
C'était un temps où à Central Park, tous étaient persuadés que le monde allait changer sans effort : « Ne faites rien et changez tout. » La jeune utopie américaine se réfère alors à un partage originel, avant l'invention de la propriété et du commerce… « Ressources, nourriture, plaisirs, enfants, tout est pour tous. » Avec le « Flower Power », l'utopie s'avançait sans contrainte, aucune charte, aucun règlement. La règle semblait être : « Pas De règle ! Laisse-toi aller et fais ce qu'il te plaît de faire ! »
On sent J-C Carrière nostalgique de cet âge d'or perdu du « Flower Power ».
Avec Miloš Forman, J-C Carrière chantera « We shall overcome » (Nous vaincrons), l'hymne de la révolte de ce temps-là, un chant qui les suivra pendant des années, qu'ils appliqueront à toutes choses et à leurs projets de films.

En France, en mai, tout s'arrêtait, les usines, les études, la Poste, les trains, les avions et même le Festival de Cannes après la démission presque totale du jury.
Pas De chance pour Miloš Forman qui était venu y présenter son film « le bal des pompiers », ce film qui venait de faire scandale en Tchécoslovaquie.
Les autorités de Prague l'avaient interdit de festival et il avait fallu l'intervention personnelle d'Alexander Dubček, chef du gouvernement, pour que le film puisse être montré à Cannes !
Après l'Amérique où ils avaient côtoyé la nonchalance rêveuse et souriante des hippies américains, Miloš et Jean-Claude assistaient à Paris au soulèvement violent de la jeunesse. Après les fleurs, les pavés !

Il fallait « changer la vie », rendre l'apparence aux invisibles et la parole aux silencieux, abattre la société de consommation… en finir avec l'autorité, le pouvoir et les privilèges. Il fallait faire place au désir. On se souvient bien du slogan célèbre d'alors « Il est interdit d'interdire ! ». Mais d'interdire quoi ? Où commence le territoire d'où l'interdiction doit être bannie ?

Miloš Forman, qui accompagnait en France J-C Carrière, ne pouvait rien comprendre à cet imbroglio politico-intellectuel qui agitait Paris. Il se demandait pourquoi les Français se donnaient autant de mal pour hisser le drapeau rouge, alors que les tchécoslovaques, eux, avaient tant de mal à l'abattre !
Afin de trouver un endroit calme, qui leur permettent d'avancer dans leur projet de scénario de film, Miloš proposa à Jean-Claude d'aller travailler à Prague. Mais c'était sans se douter que Prague vivait à son tour son printemps, ce printemps qui porte son nom !
Le « Flower Power » et les barricades parisiennes soulevaient des échos jusqu'en Tchécoslovaquie. Et Alexander Dubček lançait une formule à laquelle personne ne trouvait à redire : « un socialisme à visage humain ». Cela signifiait à mots couverts que la Tchécoslovaquie pourrait se libérer avec assez de facilité du totalitarisme soviétique qui l'accablait sans raison depuis trop d'années… mais la suite de l'Histoire sera tout autre !

Plus tard, l'utopie devenait folle. Dans deux pays anciennement fascistes, en 1969, en Allemagne, la Bande à Baader commençait à frapper, et en Italie, les Brigades Rouges inauguraient une série d'assassinats et d'attentats. Impossibilité de changer le monde en douceur ?

On peut se demander où trouver encore une utopie, une image d'harmonie, une image heureuse dans ce monde de désordre qui est le nôtre, où règnent encore monstruosités, massacres et misères !
Il est devenu urgent de se souvenir de ce slogan « Faites l'amour, pas la guerre » qui est à l'origine un slogan antiguerre issu de la contre-culture des années 1960 aux États-Unis (Make Love, Not War).
Malheureusement, « L'humanité ne sait pas où elle va. Mais elle ne l'a jamais su. »
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