En face d’elle, la grande cathédrale tremble dans la lumière qui la dévoile crûment. À grand renfort de spots savamment disposés, la mairie a sorti la dentelle gothique de l’ombre où elle reposait depuis des siècles. On dirait une future mariée exposée aux regards et dissimulant sa peur sous trop de maquillage.
C’est obscène, grotesque, mais à l’image de leur époque.
L’extérieur est plus important que l’intérieur.
Elle a envie de courir après l'homme du camion à poubelles, d'entendre sa voix. Qu'il lui raconte son histoire.
Elle veut savoir pourquoi certains se retrouvent sur le marchepied, quand d'autres sont assis dans le carosse. Si c'est un choix.
Il voulait être magicien, prestidigitateur. Quand il lui a raconté ça, elle a eu du mal à le croire. Du mal à le reconnaître. Il faut dire qu’aujourd’hui, il est avocat fiscaliste. Ce qu’il fait disparaître, c’est l’argent des plus riches. Un tour de magie sans colombes mais avec des pigeons. Il faut croire qu’il a toujours la vocation.
Elle regarde à peine les titres. Se sent tout de suite mieux. Connectée.
Les livres ont toujours eu ce pouvoir sur elle. L'apaiser comme si elle leur appartenait ; une famille qui ne t'impose aucun choix, qui s'offre tout entière sans rien te demander en échange.
Pourquoi. Faut-il. Absolument. Choisir.
Elle sent le cri gonfler à l'intérieur depuis une semaine, monter en puissance. Comme une tornade, un enfant monstrueux. Hurler à s'en décrocher la mâchoire. Un vomissement. De colère. De frustration. Elle étouffe.
Elle déteste l'idée même des tatouages. Ça lui évoque la viande morte dans les abattoirs, des numéros sur des bras pâles. Et puis, le côté irrémédiable du truc l'angoisse. Il faut être optimiste pour se faire tatouer. Être capable de penser que dans dix, quarante ans, on aimera toujours les chats, le rock ou la même personne.
Obéir est plus simple que tout remettre en question.
Louise les a laissé faire, s'amuser à lancer les dés à sa place. De toute manière , quelle que soit la main qui les lance, les dés finissent toujours par retomber. Alors, à quoi bon s'embêter?
Louise n'a pas de projet. C'est effrayant. Presque autant que la liberté, ou d'avoir le choix.
Les livres ont toujours eu ce pouvoir sur elle. L'apaiser. Comme si elle leur appartenait; une famille qui ne t'impose aucun choix, qui s'offre toute entière sans rien te demander en échange.