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Critique de Antyryia



P.N.
Curieuses ces initiales pour un titre de roman.
Mais avec cette couverture, cette jolie maison encore éclairée sous un ciel étoilé, cette cheminée sur la gauche, on peut très bien imaginer que le Père Noël vient de passer et qu'une famille déballe ses cadeaux au pied d'un lumineux sapin. Avec une ribambelle d'enfants ou juste un couple d'amoureux.
Un couple parfait. Celui qui n'existe que dans les contes de fée.
Et pourtant Romane a rencontré Bastien, cet homme à la générosité démesurée.
"Il était avenant, gentil et attentionné. Elle était sa princesse."
"Tout dans son attitude était drôle, amusant, et respirait la bienveillance."
Un homme qui n'attend pas les fêtes pour lui offrir des cadeaux, pour déclarer son amour ou pour s'excuser, tout simplement, lorsqu'il a mal agi.

Parce que dans ce paysage nocturne, quand tous les félins sont gris, P.N. pourrait tout aussi bien signifier Panthère Noire.
Un fauve au pelage soyeux qu'on a envie de caresser.
Un petit chat innocent et affectueux qui, une fois adulte, peut vous sauter à la jugulaire et se repaître de votre corps inerte, déjà à moitié mort.
Parce que sous le masque du tendre époux, Bastien est aussi cet homme au tempérament possessif et violent qui peut exploser le visage de sa douce contre le miroir de la salle de bain.
Elle qui a osé gâcher la fête ce soir en aguichant sous son propre toit les invités avec sa mini-jupe si suggestive.
Un vêtement qu'il lui avait demandé de porter, certes, mais là n'est pas le problème. D'ailleurs la jupe n'existe plus, il l'a découpée en petits morceaux.
Avec ses gestes fourbes, avec ses poings, avec son ironie cruelle, Bastien a tout lacéré.
"Une reconnaissance démesurée l'envahit. Il l'a laissée en vie."

P.N. signifie ici Pervers Narcissique, et Bastien l'incarne magnifiquement bien. Brillant, charmant, serviable, irréprochable et donc au-delà de tout soupçon en société.
"Lui qui tient tellement à son image... A ce qu'il reflète lorsque les gens passent chez eux."
Il est pourtant profondément malade, et les seuls sentiments qu'il éprouve sont ceux de son admiration personnelle. Son épouse ? Difficile de dire s'il l'aime. Il aime surtout qu'elle lui appartienne et qu'elle soit son faire-valoir. Et il ne répond plus de rien si elle s'écarte un tant soit peu de cette route qui doit le favoriser, et non le ridiculiser comme elle a eu l'audace de le faire en séduisant son meilleur ami. Ce qui ne pouvait rester impuni.
Quant à Romane, quand elle s'est rendue compte de l'enfer dans lequel elle était, les portes de sa cellule s'étaient refermées depuis longtemps. Victime d'un jeu malsain, brutalisée physiquement et mentalement pour des peccadilles qui, un autre jour, auraient pu n'avoir aucune importance. Alors elle vit la peur au ventre, elle tente de survivre en tout cas, dans le jeu de rôle cauchemardesque qu'est devenu sa vie, sans aucune échappatoire apparente.
"A quoi bon sortir les armes, quand celles de l'ennemi étaient plus puissantes, et qu'à terme, vous étiez toujours par terre ?"

Alors oui, c'est vrai, le sujet a déjà été abordé dans de nombreux thrillers ou romans noirs. C'est cette seconde forme qu'a choisie Anaïs Carteus pour évoquer ce sujet sensible qui lui tenait à coeur.
Et elle s'en sort formidablement bien.
Ce court roman est comme un uppercut qui n'écrit pas sur un fait de société, mais qui explique comment il est possible.
Comment une femme aussi belle, intelligente et indépendante que n'importe quelle autre - que vous - peut devenir un simple insecte dans son foyer se débattant dans une toile lentement tissée par un homme dérangé, manipulateur, calculateur, au nez et à la barbe de tous ses amis, tous ses voisins.
P.N. ne se contente pas de dire que Bastien a peu à peu séparé Romane de ses repères amicaux, familiaux, professionnels, mais donne une multitude d'exemples minutieusement choisis, autant de moments charnières qui ont isolé une épouse prête à quelques petits sacrifices pour le bien de son couple, pour retrouver l'homme qu'elle aimait tant lorsque involontairement elle le contrariait.
Et le roman a pour particularité, en plus d'alterner doutes passés et présent infernal, de diversifier les points de vue en donnant la parole à l'ancienne meilleure amie de Romane qui voudrait tant renouer avec elle, aux amis de Bastien qui s'interrogent sur les raisons qui poussent leur compère à rester avec une femme aussi pénible, ou aux voisins du dessous, dérangés par les bruits de disputes mais incapable d'imaginer qu'à l'étage du dessus un drame brutal est en train de se jouer.
"- C'est pas nos affaire, ce qui se passe derrière la porte des gens."
Bref, personne ne voit rien, personne ne peut imaginer une fraction de seconde que sous le vernis de perfection de Bastien se cache un monstre.
Et même Romane en arrive à se remettre en cause.
"Elle a l'impression de le décevoir sans cesse, de n'arriver jamais à la cheville de l'idéal qu'il s'est forgé d'elle."
Comme dans le roman homonyme d'Amélie Antoine, un harceleur et sa proie se livrent un combat truqué par avance, et pour des Raisons Obscures, inexplicables, personne ne soupçonne la gravité de la tragédie qui se noue.

Romane, on a envie de la secouer, de la sortir de sa léthargie, de lui hurler de fuir et de porter plainte. On voudrait lui donner ce petit coup de pouce pour la convaincre de puiser dans ses dernières forces.
Mais le mal est fait depuis trop longtemps.
"Imaginer sa vie sans lui, c'est imaginer le vide."
"Tant pis pour l'égo et la fierté, elle les a piétinés et ensevelis depuis longtemps, par amour."
Si vous avez lu "Ces orages-là" de Sandrine Collette, sur le même thème, vous vous rappellerez sûrement de Clémence qui avait réussi l'exploit d'échapper à son conjoint, un Bastien bis qui l'humiliait, la ridiculisait, jouait à la chasser nue dans la forêt. Une fois saine et sauve, elle s'est sentie si inutile, si brisée, qu'elle a sérieusement envisagé de retourner auprès de son bourreau.
L'empathie éprouvée pour Romane, victime presque consentante, est tellement palpable qu'elle noue la gorge. le phénomène de l'emprise totale est tellement bien amené et expliqué qu'on se retrouve tout aussi désarmé pour lui venir en aide, pour lui tenir la main, pour lui murmurer qu'elle doit arrêter de se dévaloriser.
"Elle n'a plus d'amis, plus de famille. Elle n'a que lui."
"Elle ne sait plus qui elle est sans Bastien pour l'accomplir."

Si je devais émettre des réserves elles seraient très peu nombreuses.
J'ai été agacé dans l'écriture ( très fluide et travaillée par ailleurs ) par quelques anglicismes qui n'avaient rien à faire là.
Personnellement je me sens en sécurité, et non pas "secure".
Et je ne me mets jamais à me questionner en langue étrangère ( "What else ?" )
J'ai compris qu'il était important de faire intervenir Céline, l'ancienne meilleure amie de Romane, comme narratrice tierce pour avoir un autre regard et d'autres détails sur les évènements passés, sur la façon notamment dont elle a vu naître le grand amour entre sa complice et le beau Bastien. Mais tout ce qu'elle raconte ne sert pas l'ensemble du livre.

A ces rares détails près, P.N. est vraiment un livre coup de poing qui m'a fait mal, et qui m'a fait réaliser bien plus qu'avec d'autres oeuvres ce qu'était un pervers narcissique et pourquoi son trouble identitaire était aussi difficilement détectable.
"Ne restait face à elle que cet homme dont elle n'arrivait plus à comprendre le fonctionnement."
Et avec lequel j'ai compris bien davantage pourquoi les victimes n'avaient quasiment aucune chance de s'en sortir, face à une culpabilité instaurée par les propres méfaits de leur bourreau pourtant paradoxalement si tendre et aimant.

En tout cas Anaïs, je dois vous avouer que j'étais sceptique au moment de précommander votre roman même si j'étais ravi de donner un tout petit coup de pouce pour sa parution.
Eh bien je ne regrette pas un instant cette démarche puisqu'il s'agit à mes yeux du meilleur roman écrit sur ce sujet si délicat à aborder.
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