AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Charybde2


Terrible et magnifique poésie matérielle de l'écrasement, créant du mythe brutal au pied du mur séparant de nous ceux qui endurent le pire ou presque pour notre confort et nos profits.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/04/23/note-de-lecture-demi-ciel-joel-casseus/

Le très bref prologue ci-dessus, presque en guise d'exergue, pose un décor cru, simple et brutal : sur une terre rugueuse que l'on jurerait africaine, des villageois travaillent sans relâche dans des fosses au pied d'un mur énorme, y extrayant quelque chose que d'autres hommes, venus de loin, convoitent avec force et sont prêts à payer, voler ou arracher lorsque nécessaire ou efficace. Pour extraire la moelle sauvage de cette puissante métaphore d'un néo-colonialisme contemporain particulièrement impavide, le Québécois Joël Casséus a conçu dans ce « Demi-ciel », publié au Tripode en février 2022, une polyphonie subtile dans laquelle les positions particulières des villageoises et des villageois, esclaves équivalents, contremaîtres de facto, intégrés ou hors champ, volontaires ou traînant les pieds, se relaient et se mêlent dans l'inquiétante étrangeté d'une langue ad hoc créée pour l'occasion, jouant d'une simplicité très matérielle pour mieux faire saisir, par contraste, les excavations béantes issues des avidités déchaînées.

On songera certainement, presque naturellement, aux exploitations esclavagistes des seigneurs ouest-africains de la guerre civile, mises en scène avec tant de brio (malgré l'improbable accent rhodésien endossé par Leonardo DiCaprio) dans le « Blood Diamond » (2006) d'Edward Zwick, mais aussi à la bulle climatique construite comme hors de l'espace et du temps pour arracher le coltan à la terre dans le « Vostok » de Jean-Hugues Oppel, voire de lire ici comme une contraposée particulièrement silencieuse aux gouailles déjantées de l'extractivisme néo-colonial du « Tram 83 » de Fiston Mwanza Mujila, ou à la noirceur subtilement historicisée du « Léopard » de Jo Nesbø.

Comme il l'avait pratiqué avec tant de brio dans son « Crépuscules » de 2018, Joël Casséus n'utilise pas les maux contemporains qu'il observe pour en proposer des compte-rendus réalistes habilement romancés, mais bien pour en extraire de nouvelles mythologies du temps présent, d'emblée conçues comme immémoriales et bien puissamment ancrées dans la vie matérielle, au ras du sol et de la susbsistance physique. Aux camps de réfugiés européens imaginés comme autant de jardins de la ferraille, de la boue et des restes de drones, voici que succède cet univers de fosses, où la boue secrète maintenant une richesse chiche et exclusive, avant que les multiplicateurs de la mondialisation ne s'en emparent et en extraient le véritable bénéfice, ne laissant aux villageois que leur plainte rentrée, leur peur omniprésente, le sentiment perpétuel de leur échec et de leurs sujétions, la trahison de leur terre et de leurs racines : au pied du mur, on ne voit en effet qu'un demi-ciel, bas et lourd, couvercle des illusions et des élans. Comme le dit en beauté, dans un entretien, l'auteur de cette terrible et magnifique poésie de l'écrasement, « notre moitié du ciel ne peut exister sans la brutalité infligée à l'autre moitié du ciel » – et pourtant, on y vit « tout comme nous, animé d'espoir. »
Lien : https://charybde2.wordpress...
Commenter  J’apprécie          40



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}