Les manteaux de gloire, tome 1

Il n'avait probablement encore jamais été vaincu. Mais moi, j'ai été défait quantité de fois, et il faut bien reconnaître que cela vous apprend quel est le véritable enjeu d'un combat. Ce n'est pas une représentation romantique, il n'est pas question d'amour ou de gloire. Un duel n'est pas toujours fondé sur l'adresse et la force. Parfois, souvent même, il s'agit de savoir lequel est prêt à encaisser un coup pour pouvoir en porter un pire encore à son adversaire.

C'est cela, être libre. Tu n'as pas le droit de faire tout ce qui te plaît, mais celui de t'affirmer et de choisir ce pour quoi tu es prête à mourir.

Les livres peuvent s'avérer de bons amis.

_ Quelles sont nos chances? lui demandai-je.
_ Nous allons gagner, dit-il, mais je serai blessé, sans doute dans le dos. Tu seras frappé par un carreau et tu risques fort d'en mourir. Brasti sera probablement tué par l'un des piquiers lorsqu'ils auront écarté le piètre rempart de son épée.
_ J'ai toujours adoré de travailler avec toi, tu sais? lui répliqua Brasti en modifiant sa garde.

_ Tu recommences, Falcio, murmura Kest.
_ Quoi donc?
_ Tu parles quand tu devrais te battre.

_ Le moment est venu, annonça Kest d'un ton pressant. Voilà comment ils vont détruire tout ce pour quoi le roi s'est battu. Explique-moi, donne-moi une raison, une bonne raison, pour laquelle je ne devrais pas étouffer la tempête avant qu'elle se déchaîne?
Je l'attrapai par l'arrière du cou et le tirai brusquement vers moi au point que nos nez manquèrent presque de se toucher. Je plongeai le regard dans le sien.
_ Parce que nous ne sommes pas de foutus assassins, dis-je en martelant chaque mot avec soin.

Je découvris dans cette vieille caisse de bois les idéaux délirants d’un enfant rêveur. Des uniformes de Manteaux de gloire, douze, chacun parfaitement taillé à nos mesures respectives.
L’extérieur était conçu dans le cuir le plus robuste que l’on puisse imaginer et l’intérieur était garni d’une étoffe plus douce que la fourrure et plus chaude que la laine.
- Vous ne gèlerez pas sur la route en portant l’un de ces habits, garantit la Tailleuse. Et aucun homme ne vous plantera un couteau dans les reins par surprise.
Elle nous montra les panneaux de doublure qui contenaient les étranges plaques flexibles à texture d’os. Ils pouvaient arrêter une lame, peut-être même une flèche, d’après elle. Elle nous révéla les poches secrètes qui cachaient de minuscules lames, des rouleaux de ficelle solide, une pierre à feu, presque tout ce qui était nécessaire pour survivre pendant un long voyage au milieu de nulle part. Chaque modèle présentait une estampe en relief, subtile, différente chaque fois, sur les panneaux du devant. Le roi souleva mon manteau de la caisse et le dressa devant moi. Il ne ressemblait en rien à ce que j’avais imaginé mais il était exactement comme je l’avais rêvé : armure, abri, insigne de ma charge. Sur la poitrine, à droite, je découvris une incrustation pertine d’un bleu subtil sur lequel tranchait une rapière d’argent.

C'est alors que les deux Dashini nous trouvèrent. Deux Dashi'nahiri Tahazu, pour citer leur titre exact, une phrase qui signifie : "une fois que la chasse est lancée, elle ne s'achève que dans le sang."
Les Dashini sont difficiles à trouver, plus chers que la vie d'un homme ne vaut, et ils ont la mauvaise réputation de tuer parfois leur employeur une fois la mission accomplie. Ils forment l'ordre d'assassins le plus secret du monde civilisé, bien qu'il soit ardu de qualifier de "civilisé" un monde capable de produire des assassins de cette trempe.

J'avais toujours détesté le nom que j'avais reçu, car je n'estimai pas le mériter. Le roi avait créé les Manteaux de gloire, il nous avait tout donné. Moi, je n'avais fait que trahir les attentes des autres quand ils avaient le plus besoin de moi.
- Ne t'en fait pas, me souffla Kest. Il aurait voulu que tu le dises, ajouta-t-il encore plus bas.
- Dis le, bon Dieu, cracha Brasti. C'est le moment ou jamais.
Je pris une profonde inspiration et m'avançai à mon tour.
- Je suis Falcio val Mond de Pertine. Et je suis le Coeur du roi.

Les rois ne fuient pas.