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Critique de Woland


Préface : François Gibault

ISBN : 9782070364817

Extraits
Personnages

"Rigodon", publié huit ans après le décès de l'Ecrivain Prodige que fut Céline, l'est ici, la note de Lucette Destouches, sa veuve, en témoigne, dans le court billet situé avant le manuscrit lui-même, comme l'eût souhaité l'écrivain. Est-ce parce que je savais que c'était le dernier "roman" de Céline qu'il me restait à lire ? Ou bien parce que je ne suis pas moi-même au meilleur de ma forme ? Toujours est-il que j'ai hésité et puis, j'ai été emportée, je me suis jetée sur le malheureux "Rigodon" et j'ai lu et relu - car il y a des redites : Céline avait soixante-sept ans quand il mourut, le 1er juillet 1961, à Meudon - et ce texte, pourtant si beau jusque dans ses imperfections et dédié lui aussi "aux animaux" mais cette fois exclusivement à eux, m'a paru le plus amer, le plus désespéré, le moins "drôle" de son auteur.

Pour ceux que choquerait le fait que j'ose affirmer que Céline avait un sens inné de l'humour, je leur répondrais d'aller se faire foutre (s'ils trouvent preneurs) et que nier la chose revient à dire que Talleyrand, malgré toutes ses trahisons et ses turpitudes inouïes, n'était pas un grand homme d'Etat.

Les choses donc éclaircies (tout au moins, je l'espère Bad ) en ce domaine, reconnaissons à "Rigodon" que Céline n'eut pas vraiment le temps de l'achever. Que le Breton de Courbevoie avait mené une vie des plus agitée et connu des expériences - dont la terrible pellagre - qui avaient beaucoup nui à sa santé. Et qu'il n'était certainement pas, lui non plus, au meilleur de sa forme, quand il songea à reprendre la fin de ses notes.

Mais le style, lui, jeune, increvable, est toujours là, incomparable, avec l'ombre du Céline que connaissait jusqu'ici le lecteur, qui se montre de temps à autre : elle est là, bien présente, dans la scène où Robert le Vigan, en partant à Rome et en révélant surtout qu'il avait tramé cette fuite à Siegmaringen (orthographe célinienne) sans en parler à son vieil ami, ricanant et raillant au maximum pour ne pas laisser passer l'émotion de l'homme et de l'écrivain. Tandis que le Vigan est prêt à tomber à genoux pour remercier son créateur, Céline, que l'on sent pour une fois aussi blessé au coeur qu'il put l'être dans son enfance, nous raconte la scène en nous disant, grosso modo, que "La Vigue", comme il l'appelait, se replonge ici instantanément dans le rôle du Christ qu'il avait tenu une fois (et sans grand succès, il faut bien l'avouer, malgré une prestation "leviganesque", c'est-à-dire toujours inspirée mais excessive) dans le "Golgotha" de Julien Duvivier. (Certains devaient dire d'ailleurs pour sa défense, après l'Occupation, que le prestige de ce rôle et l'intensité qu'il avait apportée à l'interpréter étaient tels qu'ils avaient "achevé" en quelque sorte la raison d'un comédien génial mais malheureusement très (trop) instable sur le plan psychique.)

Céline a considéré "La Vigue" comme son "ami", un vrai. Et "La Vigue" a trahi son ami Céline. Au contraire de Bébert, qui était à l'origine le chat de le Vigan, et qui finit ses jours entre Céline et Lucette Destouches, à Meudon, après avoir traversé en long et en large l'Europe du Nord dans des conditions souvent extrêmement difficiles (surtout pour un félin qui ne fait pas de politique).

Céline, malgré tout ce qu'il veut nous en faire accroire, ne s'en est pas remis, de cette trahison. Et nous non plus, surtout si nous sommes cinéphiles. Et Grands Lecteurs. La tristesse de Céline, cette tristesse qui l'habitait et qu'il sut, pendant des années, dissimuler admirablement sous son masque de clown hargneux, vindicatif, rebelle, provocateur, génial, cynique, bouleversant en toutes choses, iconoclaste-né, nous la partageons avec lui et c'est déjà sa disparition à lui qui nous atteint, comme le couperet de la guillotine qui nous trancherait le col. Oh ! bien sûr, dans une prescience incertaine et dont lui seul pourrait nous dire s'il l'a ressentie envers ceux qui, vaille que vaille et en dépit de leurs opinions politiques personnelles, l'avaient suivi et le suivraient fidèlement dans ses livres et son oeuvre, il nous sort de temps à autre quelques intermèdes bien dans sa manière : ses entretiens délirants (ils ont quelque chose de moliéresque ) avec les journalistes, tout ce qu'il raconte sur Sartre, ici aimablement surnommé "Le Ténia" et de petites remarques drôlatiques, par-ci, par-là. Mais, et il l'écrit lui-même maintes fois, l'élan n'est plus là. L'âge est là, rappelle-t-il presque sentencieusement, en ne pouvant s'empêcher d'évoquer ceux qui s'acharnèrent sur les pierres tombales de ses parents pour effacer le nom soit-disant indigne de "Destouches" alors que tant de "collabos" bien pires que Céline et bien plus actifs, conservèrent ou retrouvèrent tranquillement leur poste et leur statut d'avant-guerre sans que quiconque songeât à aller se "venger" sur les tombeaux de leurs géniteurs.

"Rigodon", le rigodon de la Mort, a vaincu Céline. Il est mort dans cette certitude, alors qu'il figurait déjà dans la Pléiade et la Mort plane sur "Rigodon" comme, bien qu'y étant toujours présente, elle ne plane jamais dans aucun autre "roman" de l'écrivain. "Rigodon", malgré les facéties dont j'ai parlé plus haut, malgré tout ce qui concerne les enfants "différents" que Céline et Lucette prennent sous leur aile pour les expédier à bon port en Suède - Céline, le seul auteur qui ne m'aura jamais choquée dans son langage sur les enfants handicapés parce qu'on y sent la vérité, la lucidité et une tendresse (oui, j'ose ! ) cachée, parce qu'il appelle un chat un chat et que, superbement, il affirme, à ceux qui ne veulent pas "voir" ces enfants-là comme ayant des sentiments : "J'appelle un chat un chat mais pour moi, tous les chats, sans exception, éprouvent des sentiments et je le dirai et je vous le redirai jusqu'à la fin des temps et je vous emmerde, bande de connards ! - le Désespoir s'installe en maître dans "Rigodon". Et parce qu'il l'a senti, Céline nous adresse une dernière pirouette comique dans son final en nous replongeant dans le monde des éditeurs, avec "Gaston" (devinez) et "Achille" (devinez aussi). Un dernier rictus, un dernier éclat de rire qui s'envole ...

... vers le haut, bien sûr. Parce que, je vais vous dire, nous, les Bretons, même quand on naît à Courbevoie, on a la saine habitude de "monter en haut" et de "descendre en bas." Et pour nos éclats de rire, c'est pareil : ils montent "en haut." Oh ! Vous aurez beau nous traiter, et Céline avec nous, de tous les noms, vous aurez beau affirmer (ce qui est vrai) que nous sommes loin d'être parfaits, vous aurez beau dire de nous qu'on est des "ploucs", des "collabos", des "nigauds" (cette dernière insulte, vous la trouverez sur Facebook parce que trop de Bretons ont voté récemment pour les anneaux de ténia (sauce hollandoise) qu'est désormais "la gôôôôôôôôôôôche", et encore dans un système électoral en pleine déliquescence parce que trop trafiqué), nous monterons toujours en haut.

Et Louis-Ferdinand Destouches, dit Céline, d'origine bretonne et normande, né à Courbevoie le 27 mai 1894, croyez-moi : c'est tout en haut qu'il se trouve aujourd'hui.

Ah ! ça en fait râler certains d'entre vous ? Alors, ne vous gênez pas. Continuez à le traiter de tous les noms. Il a retrouvé toute sa forme : tôt ou tard, il vous enverra sa réponse en pleine figure. Et ce sera du gratiné ! Je m'en régale à l'avance. Pas vous ? ... ;o)
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