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Critique de Patsales


Dans le roman qui le rendit célèbre, « Les Soldats de Salaumine », Cercas raconte comment le salaud qu'était l'idéologue de la phalange, Rafael Sanchez Mazas, fut sauvé par un républicain qui le laissa s'enfuir.
Vingt ans après, Cercas reprend un thème similaire en imaginant un lecteur foudroyé par « Les Misérables » de Hugo, admirateur moins de Jean Valjean que de Javert, le justicier psychorigide qui, faisant fi de toutes ses convictions, laissa finalement s'enfuir l'ancien forçat.
Le Républicain, comme Javert, et comme le héros de « Terra Alta », pourrait se reconnaître dans cet aphorisme du sous inspecteur Barrera: « Écoutez, faire justice, c'est bien. C'est pour ça que nous sommes devenus policiers. Mais quand on pousse le bien à l'extrême, il se transforme en mal. » Comme Sartre aussi, qui développa ce thème dans « Le Diable et le Bon Dieu », ou comme d'ailleurs n'importe quel séminariste dès lors qu'il a réussi à passer en deuxième année (Tiens! Penser à relire « Le Moine »).
C'est bien ce qui me gêne ici: oui, le livre est indubitablement un Cercas, mais un Cercas affadi, simplifié, qui recycle des thématiques vues partout, assez mou du genou pour tout dire.
Donc Melchor, ancien taulard (comme Valjean), s'offre une deuxième vie en devenant policier (comme Vautrin, « Les Illusions perdues » faisant aussi parti des livres dévorés par Melchor). Il faut dire que Melchor, pas très futé au départ, se trouvera un mentor en prison (comme avant lui Edmond Dantes pour qui la vengeance est un plat qui se mange très froid et dont l'ombre tutélaire invite à se désolidariser du républicain compatissant pour piétiner la tronche de ce salaud de Mazas). Ça fait beaucoup de références littéraires tout ça, d'ailleurs, après avoir lu « La Vie mode d'emploi », Melchor s'écriera : « On dirait qu'on a mis tout un tas de romans du xixe dans un seul du xxe ». Cercas se prend pour Perec, y'a pas de mal, Hugo se prenait bien pour Chateaubriand.
Devenu l'homme qui lit, Melchor trouve l'amour, baptise sa fille Cosette (ce qui est de mauvais augure pour sa mère) et choisit finalement le pardon à la manière de Javert mais sans la noyade volontaire par laquelle le policier mettait fin à ses affres identitaires. Ici, l'eau, comme dans « La Peste », devient lustrale, et vas'y que l'apprenti roi mage abandonne sa colère au fond de la mer pour enfin trouver la paix.
Alors, certes, Cercas nous l'a annoncé d'emblée : ce sont les lecteurs qui terminent les livres en y trouvant ce qu'ils étaient venus y chercher. J'entends bien que chez Hugo la loi des hommes s'efface devant celle de Dieu mais Valjean est le peuple crucifié pour avoir volé du pain, pas pour avoir torturé des vieillards. J'entends bien aussi que la réconciliation nationale ne peut se faire sans briser le cercle des vengeances. Mais la référence insistante aux Misérables ne rend pas service à Terra Alta. Lorsque Melchor décide de ne pas faire arrêter le coupable, c'est parce qu'il estime que ce dernier a rendu la justice à sa manière. Ce n'est pas Javert découvrant l'humanité, ce n'est pas M. Madeleine sacrifiant sa vie, c'est l'inspecteur Harry qui défend la loi du Talion.
Reste une scène magnifique où deux hommes se font face, l'un coupable mais demandant à l'autre de ne pas le dénoncer, parce qu'il n'a agi qu'au nom de l'amitié, une scène troublante parce que le coupable y est à la fois totalement responsable et plein d'humaine faiblesse. Mais tout le livre ne ressemble pas à ça.
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