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Critique de AgatheDumaurier


Plongée dans la littérature concentrationnaire.
Comment transmettre à ceux qui ne connaissent pas les "bas fonds" de l'âme humaine une expérience désespérante sur notre espèce ? Notre espèce ? Ce qui fait notre supériorité ? Notre résistance physique. Un cheval tient moins longtemps qu'un homme à la Kolyma. Voilà tout ce qu'on peut retirer d'une telle expérience, d'après l'auteur. Aucune intelligence, aucune bonté, aucune charité, aucune grandeur, aucun héroïsme, aucune loyauté, aucune amitié, aucun lien, aucun langage, rien qu'une "connaissance inutile" (Charlotte Delbo), celle qu'un homme qui a faim n'est plus qu'une machine sans esprit et que les bourreaux n'ont ni remords, ni regret, ni conscience, ni morale.
Vive le XXème siècle et son abomination.
Par bribes de quelques pages, sans chronologie, dans une forme qui tient de la nouvelle, Varlam Chalamov nous livre brutalement dix-sept ans de goulag. Des prisonniers politiques qui ne sont bien souvent que des prétextes pris dans les rafles staliniennes livrés aux mains immondes des prisonniers de droit commun et aux gouffres mortifères des mines d'or et de charbon de Sibérie. Des chefs, des officiers, des gardiens, des miradors, des barbelés, de la neige, un hiver sans fin où les températures descendent à moins cinquante voire moins soixante degrés, des vols, des mensonges, des exécutions, le compte des morts, des membres gelés, des amputations, le typhus, la fièvre, la peau sur les os, les "crevards" qui vont mourir et des tas de cadavres...Des ouvriers, des paysans, des romanciers, des médecins, des fonctionnaires, des poètes, des hommes politiques, des intellectuels, des soldats de la "grande guerre patriotique" passés des camps allemands aux camps soviétiques, des jeunes prolétaires, des vieux aristocrates, et réciproquement, aucune expérience ne sert, c'est tout un monde sans passé dans les châlits des baraquements glacés à tousser et mourir de froid et de fatigue. Tout se délabre et pourrit, les corps comme les esprits. La mémoire et l'humanité s'effacent, il ne reste plus qu'une horde de spectres sourde et aveugle à la douleur des autres.
La reconstruction de Chalamov est parfaite, elliptique comme son acuité d'alors, avec parfois des flashs, des visages et des visions nettes comme une horreur qui vous poursuit toutes les nuits. L'homme qui rentre est un mort parmi les vivants, sauf que ce n'est pas un cauchemar, mais la réalité. On retrouve les mêmes impressions, les mêmes idées et les mêmes hantises que chez tous les grands témoins de ce genre de camps infernaux, et un désespoir absolu sur la nature humaine. Pourquoi raconter alors ? Sans doute pour que les conditions d'un tel effondrement moral de l'humanité ne se reproduisent pas, pour prévenir...Dernier murmure d'espoir avant extinction des feux.
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