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Critique de Cancie


Rentrée littéraire 2023.

Les premières pages de l'enragé nous plongent dans l'enfer qu'était la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer en 1932 avec le jeune Jules Bonneau, alors âgé de 18 ans et qui a réellement existé.
Si Belle-Île-en-Mer évoque aujourd'hui un site touristique remarquable situé dans le golfe de Gascogne, au sud de la Bretagne et appelle immédiatement à fredonner le célèbre refrain de Laurent Voulzy « Belle-Île-en-Mer, Marie-Galante », il faut se souvenir qu'il est également le site de Haute-Boulogne, fortification élevée en 1802, prison devenue colonie pénitentiaire maritime et agricole pour jeunes délinquants. La discipline y est alors extrêmement sévère et les jeunes délinquants subissent quotidiennement des violences physiques et psychologiques ne pouvant créer que rancoeur et désir de vengeance.
Lors d'un repas du soir, un enfant croque dans son fromage avant de manger sa soupe, violant l'ordre imposé par le règlement. Aussitôt les gardiens lui tombent dessus et le frappent. Un déchaînement de violence se produit alors, et en cette nuit du 27 août 1934, cinquante-six gamins se révoltent et s'échappent de la colonie pénitentiaire et se dispersent sur l'île.
La chasse aux enfants est ouverte et en quelques heures, l'ensemble des fuyards est capturé, un seul manque à l'appel, Jules Bonneau alias « La teigne »…
C'est l'histoire de ce garçon, que Sorj Chalandon raconte dans l'enragé, un garçon qu'il va construire à partir de son propre vécu, à partir de ses propres colères et de sa rage.
En effet, lui aussi a été un enfant battu, menacé à chaque bêtise, pendant toute son enfance, d'être envoyé en maison de correction par son père, comme il le raconte dans Enfant de salaud. Une enfance qui l'a traumatisé.

l'enragé est un roman dans lequel règne dès les premières pages une tension extrême.
Par la voix de Jules qui s'exprime à la première personne, Sorj Chalandon réussit avec brio à faire revivre cette colonie pénitentiaire, prison naturelle censée remettre les jeunes délinquants dans le droit chemin en les faisant travailler mais plus apparentée à un bagne, tant les jeunes vivaient un quotidien coercitif et violent.
J'ai suivi pas à pas et avec anxiété le cheminement de ce jeune gars, toujours crispée lorsque la rage l'envahissait craignant ses débordements, indignée et furieuse du comportement de ces soi-disant éducateurs et complètement ulcérée d'apprendre que les îliens et les touristes eux-mêmes se soient laissés corrompre par une somme de 20 francs pour participer à la recherche des fuyards. Une véritable chasse aux enfants est ainsi conduite, un épisode qui interpellera Jacques Prévert de passage sur l'île et lui inspirera le poème La chasse à l'enfant.
Sorj Chalandon, avec le talent qu'on lui connaît nous fait vibrer tout au long de ce récit lorsqu'il raconte la métamorphose de ce jeune gars. Au départ, il n'a que ses poings pour se faire entendre et faire sa place, mais n'hésite pas à attaquer les caïds lorsqu'ils s'en prennent aux plus faibles. Peu à peu, on assiste à sa transformation au fil de ses rencontres, à la naissance de l'espoir, à son ouverture à la vie, jusqu'à devenir un homme.
le contexte historique dans lequel se déroule l'action du roman, entre octobre 1932 et décembre 1942, cette période entre les deux guerres avec la guerre civile espagnole, le communisme, la montée du fascisme, est superbement incarnée par des personnages à la très forte personnalité.
Si les hommes sont très présents et plutôt majoritaires, les femmes ont également leur place dans le roman avec deux figures féminines en totale opposition, l'une collaborant et l'autre n'hésitant pas à prendre des risques pour aider des femmes en détresse.
Quant aux séquences de pêche à la sardine, l'auteur nous les conte réelles et vivantes, tout comme il sait mettre en évidence le courage de ces marins-pêcheurs.
Une importante documentation a été nécessaire pour écrire un tel ouvrage. Elle en augmente d'autant la crédibilité de ce roman puissant et absolument bouleversant.
Dureté, cruauté, noirceur mais aussi lumière, sensibilité et tendresse sont présentes dans ce roman que l'on ressent écrit avec les tripes, avec le coeur, et une lettre finale… pour laquelle je n'ai pas de mots pour la définir.
l'enragé de Sorj Chalandon : Sublime !

Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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