Je ne sens même pas mon cœur battre dans ma poitrine; j'ai l'impression que tout mon intérieur bourdonne. C'est comme ça depuis la semaine passée? Depuis qu'Éloi m'a dit.
Qu'il est différent.
Que ce dont je rêvais ne pouvait pas se produire.
Qu'on ne pouvait pas être ensemble.
Je n'y crois pas. J'ai beaucoup de difficulté à me faire entrer dans la tête cette image de lui en tant que fille. Ce n'est pas possible, il n'est pas une fille. Je veux dire … Je sais qu'il n'en est pas une, mais pour moi, c'est dur de concevoir qu'il ait déjà eu le corps d'une fille. Il l'a encore un peu en fait, quand il est nu, non ?
J'essaie d'expliquer, mais plus je parle, plus elle se fâche, moins on se comprend, moins je sais quoi dire, plus elle crie, plus je m'écrase.
J'aurais aimé qu'on me dise, quand j'étais plus jeune, que les choses qu'on croit acquises ne le sont pas toujours. Que ce qui semble une question de blanc ou de noir cache parfois un millier de nuances de gris. Et que quelqu'un qui est né dans le corps d'une fille peut en fait être un garçon…
Que l'impression d'être un étranger dans son propre corps est normale. Que s'imaginer être différent est normal. Que de vouloir que les gens nous reconnaissent pour la personne qu'on se sait être est normal. Toutes ces émotions sont normales quand on est transsexuel. Quand on est comme je suis.
Quand j'avais douze ans on m'a dit que j'avais le droit d'être moi. D'être un gars dans un corps de fille, que j'existais pour de vrai et que je pouvais être réparé si je le souhaitais. Avec le temps, les choses s'améliorent, dit-on. Pour moi, ce fut le cas.