La grande force de ce roman, c'est la façon un peu dingue qu'il a d'exalter l'adolescence. Dans le style surtout : métaphores intenses, grande oralité qui crie la force de la jeunesse, les sentiments qui débordent, les désirs, les rêves, les souffrances. Parfois, j'ai pu trouver que le style avait quelques lourdeurs et débordait un peu trop dans le lyrisme (ce qui m'a rendue assez indifférente à certaines scènes censées être émouvantes) mais il convient bien à un lectorat adolescent. C'est une langue extrêmement sensuelle qui illustre bien le regard adolescent sur son corps et celui des autres : l'envie de plaire, le désir naissant de l'autre. Néanmoins, j'ai parfois trouvé les descriptions des corps trop sexualisées, même si, dans un sens, elles peuvent ainsi illustrer la perception des adolescents sur le corps - notamment pour le personnage de Lola qui considère le corps féminin uniquement sous le prisme de l'objet sexuel.
L'autrice reprend beaucoup de stéréotypes romanesques, présentés dès le début du roman : les meilleures amies « pétasses », la fille intello moche, le mec populaire qui baise tout le temps, le gars rêveur un peu looser... Des situations aussi : tel personnage qui observe la fille qu'il aime en secret se déshabiller derrière sa fenêtre avec son téléscope, tel autre qui jette des graviers sur la fenêtre pour réveiller son voisin... Dès le début du roman, j'ai pensé que l'autrice jouait de ces stéréotypes pour les dépasser. Et c'est en partie vrai : au fur et à mesure des chapitres, les personnages se révèlent dans leurs secrets, leurs fragilités... Mais il y en a beaucoup, peut-être trop, et j'ai eu l'impression qu'il n'y avait pas suffisamment de temps pour les explorer vraiment. Certains, comme Chloé ou Gabriel, ne m'ont pas paru très intéressants à l'intrigue : certes, ils montrent la diversité des profils d'adolescents qui ensemble constituent "les adolescents ordinaires" de ce petit quartier, mais ils sont, dans le récit, un peu à l'écart des autres personnages, Romane, Cyrius et Lola, qui sont, eux, centraux. J'ai été également déçue du traitement de certaines relations dont le dénouement m'a paru trop attendu et pas assez crédible (notamment la relation entre Romane et Cyrius ou entre Romane et Gabriel.)
Malgré ces quelques défauts, je garde un bon souvenir de lecture. J'ai aimé la relation entre Romane et Lola, par exemple, et les non-dits qu'il reste de cette relation à l'issue du récit. Ensemble, elles abordent des sujets intéressants, autour de l'identité de femme et de ce que c'est, qu'être libre de son corps, et toujours avec complexité.
Tous nos rêves ordinaires est un roman ambitieux étant donné le nombre de personnages et d'intrigues emmêlées : il m'a parfois semblé un peu maladroit. Néanmoins, il est porté par une voix sincère et proche des adolescents, qui plaira à un grand nombre.