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Critique de elea2020


J'ai beaucoup apprécié cette lecture comme telle, la trouvant prenante et bien menée. Toutefois, étant donné le sujet délicat, une vague de suicides planifiés chez les jeunes, on ne peut que se poser des questions supplémentaires sur le propos de l'auteur, ainsi que sur l'éthique de son approche.

Un groupe de jeunes étudiants à l'université A de Séoul se regroupe : tous ont en commun de complexer par rapport à leurs études (l'université A n'est pas un premier choix), et de ressentir un certain découragement quant à leur avenir. Pour eux, l'horizon est bouché, ils sont condamnés à devoir s'insérer dans un monde professionnel où les meilleures places sont prises, où ils devront subir avec hypocrisie la pression sociale, la rude compétition, et les prérogatives des aînés. Dans ce groupe de 5 jeunes, les caractères sont différents, les problématiques aussi, mais tous ont en commun leur relation avec Seoyon, dite Jackie, très belle jeune fille, très douée, mais totalement nihiliste et plutôt instable psychologiquement, terriblement manipulatrice. Ce n'est pas une personne des plus recommandables, en ce sens où elle rêve d'accomplir un grand projet, qui la rende l'égale de Charles Manson (oui, quand on a ces références, on peut dire que ça s'engage mal), moyennant qu'elle convainque quelques-uns de ses amis de se suicider cinq ans après elle, pour assurer la réussite de son site dédié aux Déclarations de suicide, whydoyoulive.com.

Au fil des années, nous suivons plusieurs d'entre eux : le narrateur à la première personne, qui répond au surnom d'Antéchrist, sa petite amie Chu, avec qui il vit une relation conflictuelle et compliquée (Seyeon les a littéralement jetés dans les bras l'un de l'autre), Hwiyeong ou Socrate, Byeonggwon ou Zapruder. Après la mort par suicide de Seoyon, ils reçoivent par mail un envoi planifié : deux mystérieux dossiers, dont l'un est codé, et les noms de tous ceux qui sont concernés. Ils n'en connaissent pas 3 d'entre eux.
Chacun cherche à faire son chemin dans la vie, insatisfait, traînant ses désillusions : le narrateur a tenté plusieurs fois le concours de fonctionnaire de 7ème catégorie (autant dire que ce n'est pas glorieux), poursuivi par des problèmes d'argent et en proie à ses addictions, l'alcool entre autres ; Hwiyeong de son côté est devenu journaliste et peine à trouver de la considération dans son emploi. Ils se retrouvent de temps en temps pour manger et surtout boire ensemble, et commencent à enquêter lorsque le site est dévoilé, en même temps qu'ils apprennent avec les années le suicide de plusieurs d'entre eux, bien qu'ils cherchent à empêcher chacun. Dans ce bras de fer, qui aura le dernier mot ? Parviendront-ils tous deux à ne pas honorer une promesse d'étudiant, à trouver des raisons de vivre ?

Ce roman me laisse plutôt désarmée, en ce qu'il reflète des façons de vivre, de penser, qui m'ont paru parfois radicalement différentes des nôtres, parfois terriblement proches. Les problèmes humains sont similaires sous toutes les latitudes, leur intégration dans un contexte social est tributaire de la culture du pays. J'ai beau être de plus en plus familière avec la culture coréenne, ou plutôt ce qu'elle veut bien nous montrer, je n'ai pu que constater mon insuffisance à pleinement comprendre les enjeux philosophiques du roman. Car il est bien évident que l'auteur crée un environnement pour nous présenter différentes options. L'aspect le plus évident, la première strate, c'est la dénonciation de la société hyper-compétitive, dont le premier credo est "défoncez-vous au travail pour vous faire une place au soleil". A travers Seyeon, il amène une vision particulière de la "Grande Société Blanche", qui "blanchit", efface tout ce qui dérange, dépasse, et uniformise les comportements et les réponses. En cela, les Déclarés, ceux qui annoncent publiquement leur suicide avant de le réaliser, si possible filmé en ligne, apportent une réponse radicale, un refus que la société ne pourra pas supprimer ou édulcorer. le projet est ambitieux, calculé en tout, et en voie de réussir de manière éclatante. le roman au présent est émaillé des textes de Seyeon sous forme de journal, ou de ses analyses et articles sur le site, définissant son projet. On peut s'arrêter à cette vision romantique et nihiliste, mais là n'est pas le propos de l'auteur. Il est évident que Seyeon, aussi triste que soit son destin, était une manipulatrice quelque peu sociopathe ; la question qui se pose est aussi "comment contrer la Déclaration ?"

Et c'est ici que le roman, s'il a commencé d'une manière un peu trop démonstrative, devient touchant, car les deux protagonistes, Hwiyeong et le narrateur, ont fort à faire avec leur propre vie, pas loin d'être ratée, mais tentent de s'opposer, de sauver ce qui peut encore l'être, de retrouver les membres un par un pour obtenir des réponses. Il plane sur ce roman une tristesse douce-amère palpable, la désillusion d'une génération, et pourtant tout n'est pas perdu, on veut y croire, la vie peut revêtir parfois les couleurs d'une promenade le long du fleuve Han, et la force de l'écriture de Chang Kang-Myoung, sa finesse au scalpel qui se découpe sur la géographie urbaine de Séoul, n'est pas des moindres.
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