La mort n'était donc pas pour aujourd'hui. Il lui fallait encore souffrir une dernière fois. L'immortalité était à ce prix.
Au soir de la bataille dans "la morne plaine", le 18 juin précédent, l'Empereur a dû prendre le chemin du retour, seul, dans une berline de fortune.
Sainte-Hélène, 2 juillet 1819, 17 h 49
A Longwood une nouvelle ère débute. Napoléon doit cette fois affronter la solitude et l'ennui. Le départ de la famille Skelton, avec laquelle il s'entendait à merveille, a été vécu comme un drame. Puis aux départs précipités, aux absences successives s'est ajoutée la fin des entretiens avec des voyageurs de passage comme le gouverneur de Java ou l'extravagant intermède du capitaine Piontkowski, sorte d'aventurier polonais ayant réussi à rallier l'île après avoir tenté de suivre l'Empereur lors de son départ en juillet 1815.
Souvenons-nous du mot de Stendhal : "Je respecte Washington mais il m'ennuie, tandis que le jeune général Bonaparte me transporte bien autrement que les plus belles pages d'Homère et du Tasse".
Le 22 juin, n'ayant plus le choix, Napoléon se résout à une seconde abdication. (...) Comme un amant doit abandonner ce qu'il chérit le plus précieusement, l'Empereur rend donc le pouvoir, non seulement pour avoir perdu la bataille de trop mais aussi victime, comme le rappellera plus tard Stendhal, de "l'amour qu'il avait pris pour des gens médiocres, depuis son couronnement" et d'avoir opéré "la réunion du métier d'empereur à celui de général en chef".
En dix ans, depuis la victoire d'Austerlitz, beaucoup de choses ont changé. Le génie de la stratégie, qu'il a longtemps été, n'est plus tout à fait le même. En proie au doute il accepte, cette fois, de déposer les armes. Ses propres lieutenants, à commencer par ses maréchaux, qui lui ont été tant de fois nécessaires et lui doivent une si grande part de leur gloire autant que de leur richesse, ne l'ont cette fois pas soutenu.
Aucun espoir de s’échapper. Napoléon ne reverra donc plus jamais la France. Après avoir mis tant d’énergie à en apprendre la langue, avec ses subtilités et ses particularités, après avoir lu tant de récits historiques et compris cette culture acquise sur les bancs des écoles militaires de Brienne et Paris, il en est exclu à tout jamais. Il ne lui reste plus qu’à prendre des leçons d’anglais.
Grâce à eux, tous les faits et gestes, mais aussi les "pensées" et les "conseils" seront connus de tous. Chaque mot, chaque anecdote, chaque petite phrase sera acceptée. L'Aigle peut donc compter sur ces "plumes" pour entretenir son souvenir.