Ils se tenaient tous au crépuscule de leurs vies. Personne n'évoquait le sujet, par peur, par superstition ; mais chacun avait eu l'impression, à la mort de Bob, de basculer brutalement de la projection à l'attente. Qu'un compte à rebours venait de s'enclencher. Leurs visages, comme celui de Richard - le sien surtout - portaient des stigmates de leurs excès passés, de ce qu'ils avaient infligé à leurs coeurs. Les conversations roulaient de l'un à l'autre autour de la table comme elles l'avaient toujours fait. Sauf qu'il en manquait un, le plus énorme, le plus bruyant, le plus envahissant, le plus drôle ; et que ce genre de réunion autrefois considérée comme un heureux accident du destin, tenait aujourd'hui du petit miracle. Le temps se déréglait. Soit il s'étirait très lentement, dans une forme de torpeur, soit il filait bien plus vite qu'ils ne l'avaient imaginé. La peur de l'après grandissait de jour en jour. On disait qu'il fallait s'y préparer mais aucun n'avait réellement envie de s'y mettre. Ils avaient vécu assez longtemps pour savoir que les mauvaises nouvelles n'avaient nul besoin d'avoir été anticipées pour subvenir.
Que pouvait-on encore espérer parvenu à leur âge, si ce n’était de rester aussi longtemps que possible dans un état correct, en attendant l’effondrement. (p. 120)