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Critique de belcantoeu


L'avantage des «Boites à livre» est qu'on y trouve des ouvrages qu'on n'aurait jamais eu l'idée d'acheter, qui sont souvent épuisés, mais qui présentent un intérêt certain, en l'occurrence, historique. Évidemment, celui-ci sent la poussière, comme tant d'autres rêves de sociétés idéales, de Thomas More à Ch. Fourrier ou Owen, mais ici, le mythe ne fut pas sans conséquences. Combien de millions de morts sous Staline et sous Mao au nom de Marx? Et ensuite le mur de Berlin, Budapest 1956, Prague 1968, Pol Pot, la dynastie Kim, pour arriver invariablement à la misère, aux procès truqués, à la torture, aux déplacements forcés de population, à la censure. Aucun régime communiste n'y a échappé. Et pourtant, Marx était un grand défenseur de la liberté de la presse. Aurait-il trouvé, comme Georges Marchais, que tout cela était «globalement positif» quand tant de Berlinois de l'Est (et autres) ont «voté avec leurs pieds», faute d'élections libres?
Mon exemplaire, imprimé à Moscou en 1981 (Editions du Progrès) pour être distribué en français par les missionnaires du marxisme, prophétisait que le Manifeste avait pour tâche de préparer «la disparition inévitable et prochaine de la propriété bourgeoise» (Préface d'Engels, 21.1.1882). On croirait presque entendre les Témoins de Jéhovah prophétiser la prochaine fin du monde (pour 1942, puis pour 1975, puis avant 1994). le Manifeste est un intéressant «arrêt sur image», mais qui a ensuite connu le sort qu'on lui connait.
Engels a multiplié les préfaces différentes pour les éditions anglaises, allemandes, italiennes, russes, etc. Il y a même une préface de 1892 à l'édition polonaise qui se prononce (p. 28) en faveur du «futur rétablissement national» de la Pologne car chaque peuple doit être le «maitre absolu dans sa propre maison... Pour les ouvriers du reste de l'Europe, cette indépendance est aussi nécessaire que pour les ouvriers polonais eux-mêmes». Staline n'avait sans doute pas lu ça quand - avec son allié Hitler - il a mis fin à l'existence de la Pologne en 1939 avant de supprimer son indépendance après 1945.
Le Manifeste, et les autres écrits de Marx, ont conçu le mythe du «marxisme scientifique» selon lequel le capitalisme succède au féodalisme. Ensuite, le capitalisme «avancé» déboucherait sur le socialisme, et celui-ci sur le communisme. Or l'histoire a fait naitre le communisme non pas dans une société capitaliste avancée comme l'Angleterre ou la Belgique, mais dans une Russie encore relativement féodale, et en outre, non pas par la volonté des ouvriers, mais par le coup d'Etat d'octobre 1917 qui a renversé le gouvernement socialiste et républicain (le tsar ayant abdiqué en février). Lénine a donc dû réviser très tôt la «science» marxiste pour adapter la théorie aux faits. Quant à la société dite «sans classes», elle a produit, à côté d'une misère pire que celle des pays capitalistes, la nouvelle classe sociale toute puissante des privilégiés de la «nomenklatura», ce que le «marxisme scientifique» n'avait pas prévu non plus.
Je me suis trouvé en curieux, l'an dernier, dans un colloque célébrant le centenaire de la naissance de Marx, organisé par des convaincus du «marxisme à la chinoise», lequel n'est rien d'autre qu'un mélange de dictature et de capitalisme d'Etat assez sauvage où la propriété privée a été rétablie. Ce rétablissement du capitalisme y a d'ailleurs coïncidé avec un taux de croissance exceptionnel. J'ai posé la question suivante lors de ce colloque, en la formulant le plus diplomatiquement possible: «La chute des régimes communistes en URSS et en Europe centrale a montré le processus inverse: le communisme a été abandonné et c'est le capitalisme qui l'a suivi. Marx avait-il prévu que cela puisse fonctionner à l'envers et que l'on vive mieux dans les pays «capitalistes» que dans tous les pays «communistes»?». Inutile de dire que je n'ai pas eu de réponse.
Le Manifeste du Parti Communiste a surtout été influencé par les conditions sociales épouvantables de l'Angleterre de l'époque, mais l'erreur a été de prophétiser l'avenir, mirage qui s'est soldé par des millions de victimes du communisme. Marx n'avait évidemment pas prévu ça. L'industrialisation et le développement se sont partout fondés sur l'exploitation de travailleurs sous-payés par des «élites» super-riches, en Angleterre comme en URSS, et ça n'a pas totalement changé, ni en Asie communiste, ni en Europe. Les contrats irlandais de Ryanair, avec sécurité sociale minimale, relèvent de la même politique, heureusement dans un contexte moins dramatique.
On lit aussi dans le Manifeste que «les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique: abolition de la propriété privée» (p. 48). Après la Chine, la propriété privée est également rétablie à Cuba. La base fondamentale du communisme y a donc disparu. Explication, m'a-t-on dit: «Le marxisme scientifique doit d'adapter aux conditions locales». Ce serait donc la seule science dont les lois varient d'un pays à l'autre.
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