Le Psilédon se tenait au fond de la clairière, immobile, impassible, à peine fumant, comme s'il n'avait rien subi, attendant le bon moment pour attaquer cet ennemi enfin digne de lui. Les dernières fumées cachaient encore sa silhouette, il était une ombre parmi les ombres.
Tous deux s'observaient, se guettaient, ne se quittant jamais du regard. Prudence était de mise, car l'un pouvait carboniser et l'autre déchiqueter.
De loin, on entendit quelques bribes d'essais, des horreurs, suivies de vociférations et d'insultes envers soi du genre « Tu n'es qu'un sale petit braillard des rues, mes doigts ne sont que fiente et bouse ». Ainsi était Brel. Il paraissait sûr de lui, mais en vérité, il était extrêmement dur avec lui-même, comme tous les génies.
D'aucuns l'auraient cru aveugle, mais il était d'une lignée d'iris blancs, les divinateurs. Noyés dans le feu, se perdant dans d'obscures visions, ces êtres voyaient bien au-delà de ce qui était, ne se souciait guère de la surfacedes choses que leurs yeux, leurrenvoyaient pourtant.
Ces enfants sont d'une grande valeur. Les abandonner ne changerait rien. Nul n'est en sécurité désormais. Nous devons les protéger.
_ J'en suis conscient, dit Hargen. Les protéger de simples tuniques et quelques bestioles, c'est une chose, mais d'un démon... Si comme tu le dis nous ne pouvons en venir à bout, nous devons donc fuir. Toutefois, nous ne pouvons fuir éternellement. Même si la forêt nous donne un coup de branche je doute que quelques boiseries le retienne longtemps.
Il était presque impossible de traverser la forêt directement, sans emprunter un des nombreu sentiers Nauséeux, comme ils pouvaient traverser un marais boiteu Ainsi les nommait-on, car ils se déplaçaient au gré des caprices et des humeurs de Vayrinen. Les sentiers pouvaient aussi bien s'ouvrir au milieu de verts feuillages et longer de belles cascades. comme ils pouvaient traverser un marais boueux, ou pire encore, un nid de Kasvirs-un croisement entre une araignée et une mante, de deux mètres au garrot pour les plus grandsspécimens. Telle était la volonté de Vayrinen, aider ou faire périr.
Ainsi parlait Brel. Outre les moments de réel danger ou inappropriés, ses paroles n'étaient souvent que chants et vers à outrance. Toujours à vivre son art. « Proser en vers ou proser à l'envers, quelle douce limite à titiller pour scintiller » disait-il.
Le sol était si rêche, la paille si sèche, il n'y avait plus rien de doux ici pour trouver quelque réconfort, même par souvenir tactile.