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Critique de karmax211


François Cheng, comme Andreï Makine dans un autre registre, fait à présent partie du patrimoine culturel français, et quoi de plus naturel que de retrouver sous la coupole ces deux académiciens défendant avec ardeur et talent la langue de Molière...
Tous deux sont le meilleur de ce que nous ont offerts les convulsions du XXème siècle.
Exilés en Apatrie, ils contribuent livre après livre à élargir notre horizon comme le font à leur instar des Chahdortt Djavann, des Atiq Rahimi ou encore un "petit jeune" au nom prometteur de Mahmud Nasimi, dont le livre ( que je n'ai hélas encore pas lu ) - Un Afghan à Paris - est une véritable promesse de lecture pépite.
François Cheng, je le constate dans les critiques sur Babelio ou ailleurs, appartient pour beaucoup à cette veine d'octroyeurs de zenitude, de dispensateurs, mi-sages mi-gourous, d'une philosophie poétique aux accents de gong, d'encens et de "AUM".
Il est un peu à Nankin ce que Christian Bobin est au Creusot.
Il y a entre ces deux poètes une indéniable filiation. Tous deux sont des mystiques, des François d'Assise égarés dans un siècle où les espèces d'oiseaux disparaissent les unes après les autres et où la bonté s'achète à frais de port réduits sur Amazon.
D'assisien, on attend de Bobin qu'il nous écrive par exemple :
"Dieu c'est ce que savent les enfants, pas les adultes. Un adulte n'a pas de temps à perdre à nourrir les moineaux.”
Mais Bobin, c'est aussi le taquin, l'impertinent. Jugez-en :
“Mon Dieu qui n'êtes personne, donnez-moi chaque jour ma chanson quotidienne, mon Dieu qui êtes un clown, je vous salue, je ne pense jamais à vous, je pense à tout le reste, c'est déjà bien assez de travail, amen.”
Mais il faut en convenir, Bobin, pour moi, c'est surtout celui qui écrit :
"On ne traverse pas cette vie sans avoir, tôt ou tard, le coeur arraché par une main glacée qui entre dans notre poitrine comme si elle était chez elle, qui vous prend le coeur et qui le jette aux bêtes..."
Il en va de même, me semble-t-il, pour Cheng.
Certes, il peut vous murmurer :
"Au sommet du mont et du silence,
rien n'est dit, tout est.
Tout vide est plein, tout passé présent,
tout en nous renaît."
Là, le mystique en a pour sa foi.
Mais Cheng sait aussi regarder le monde avec lucidité... cette blessure la plus rapprochée etc...
" le vomi de la gare noircit les rues adjacentes,
Briques et pavés celant les crachats des voyageurs.
Ça et là, les sex-shops se font fort de décharger
Le désoeuvrement humain de sa crasse pesanteur."
J'aime le François Cheng qui se penche sur les malheurs des malheureux...
" Livré au regard de tous et pourtant invisible,
N'ayant pour compagnons que poussières et poux,
Avec deux cartons tu déplies le froid des nuits,
Et trois syllabes qui font honte, tu hantes les logis."
C'est du grand art, l'art de s'indigner et de nous laisser le choix de le suivre ou pas dans son indignation.
J'aime François Cheng lorsqu'il s'adresse à Estelle et à toutes les autres...que nous n'oublions pas...
"Le gouffre où la bête a broyé ton innocence,
Il est en nous. Jusqu'au bout, nous te chercherons.
Pour toi, nous gardons ce qui nous reste de tendresse,
Et nous veillons à ce que rien ne nous apaise."
Ça remue, non ? C'est fait pour.
Et puis il y a le poète qui fait consensus.
" Consens à la brisure, c'est là
Que germera ton trop-plein
De crève-coeur, que passera,
Un jour, hors de l'atteinte, la brise."
Voilà comme je vois ce poète. Il peut m'apaiser lorsque le besoin de l'être se fait sentir. Mais il ne me dupe pas. Il me dit que notre monde est un monde de larmes et de souffrances, que chacun durant son séjour ici-bas traversera plusieurs fois l'enfer, mais que...
"Le sort de la bougie est de brûler,
Quand monte l'ultime volute de fumée,
Elle lance une invite en guise d'adieu :
"Entre deux feux sois celui qui éclaire !"
Je trouve donc très très réducteur de faire de François Cheng un mystique évanescent aux vertus antidépressives. - Enfin le royaume - n'est pas l'oeuvre d'un "illuminé", à la limite d'un "éveilé" qui nous indique une voie, celle qui nous sortira peut-être de notre torpeur.
Des quatrains à lire et à relire. La lassitude ne vient jamais ; une certaine forme de paix finit toujours par pointer le parfum de son rameau d'olivier.

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