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EAN : 9781116076615
420 pages
BiblioBazaar (24/10/2009)
5/5   1 notes
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Avant-dernier roman de Victor Cherbuliez, "Après Fortune Faite" narre le duel qui oppose le multi-millionnaire Christophe Trayaz, ayant fait fortune dans les mines d'or américaines, à son neveu Silvère Sauvagin, un garçon solitaire passionné par la botanique, indifférent à la fortune et aux honneurs, qui n'aspire qu'à devenir un grand botaniste.
Christophe Trayaz, vieillissant, adulé, mais au final pétri d'ennui et de rancoeur par sa propre sénilité, revient dans sa Provence natale, pas très loin de Saint-Raphaël. Dans l'immense propriété qu'il a acquise en bord de mer, il décide, pour combattre son ennui, d'y faire venir pour un long séjour tous ses héritiers directs et indirects, à la seule fin de s'amuser à leurs dépens. L'auteur se plait à nous présenter toute une galerie de petits bourgeois avides et égoïstes, bien décidés à rivaliser de flatteries et d'attention pour obtenir du vieil homme la part du lion de son héritage. Tout à fait conscient de cela, Trayaz se fait un plaisir de les humilier quotidiennement, d'alimenter leurs faux espoirs, de désigner implicitement un favori avant de brutalement le traiter avec indifférence. Dans l'expectative de finir sur son testament, chacun, chacune, subit stoïquement les caprices du patriarche, lequel jouit secrètement de sentir sa botte sur la nuque de tous ces vautours.
Cependant, un de ses héritiers lui échappe ostensiblement : Silvère Sauvagin, fils d'une de ses soeurs qui représente pourtant la branche la plus pauvre de la famille. le père de Silvère s'est retrouvé ruiné à la suite de mauvaises spéculations. Sa mère ne lui a pas longtemps survécu. Sans un sou et sans appui, Silvère, qui se passionne depuis l'enfance pour les fleurs, a décidé depuis quelques années de se faire jardinier. Il est entré au service d'une vieille bourgeoise un peu solitaire qui s'est prise d'amitié pour ce jeune passionné. Lorsque son oncle le convoque, Silvère se fait tirer l'oreille : il ne connait pas cet oncle d'Amérique, et n'a que faire de sa fortune. Il n'a besoin pour être heureux que d'un jardin à cultiver, et d'un lit où il puisse dormir. Il a déjà tout cela, il n'attend rien de personne.
Sur l'insistance de cet oncle et de son employeuse, il répond finalement à l'invitation de Trayaz, mais la perversité du vieil homme, son âpre philosophie du pouvoir et de la domination par l'argent, la veulerie calculatrice et méfiante de ses cousins et cousines, écoeurent Silvère rapidement, et il revient quelques jours plus tard à son jardin, avec un immense soulagement.
Pour Christophe Trayaz, cette attitude est une offense inacceptable. Habitué à voir le monde plier devant sa puissance, le dédain de ce jeune bouseux est un défi lancé à la face du vieux millionnaire. Il va consacrer toute son énergie, et une partie de sa fortune, à écraser l'orgueil de son neveu. Avec une cruauté mesquine, il parvient à faire perdre son travail au jeune homme, il corrompt également sa fiancée en tentant d'en faire sa vestale, il veut imposer à Silvère par l'exemple sa vision d'un monde où tout s'achète et tout se vend... Il lui promet monts et merveilles à la seule et unique condition qu'il s'humilie devant son bienfaiteur. Mais même blessé, chassé, ostracisé, Silvère Sauvagin ne pliera pas. Il n'a que faire d'un oncle millionnaire, que faire d'un héritage, que faire d'une épouse aussi aisément manipulable, il n'a besoin que d'un jardin avec des fleurs, et il n'y a pas besoin d'un million pour trouver cela...
Victor Cherbuliez, au sommet de son art, signe avec "Après Fortune Faite" un roman magistral, un conte philosophique intemporel où s'affrontent en un duel complexe l'éternelle opposition entre le matérialisme borné et la passion sincère. Dénonçant avec une lucidité prophétique l'invasion d'une mentalité américaine basée sur les affaires et le profit, il démontre que l'argent peut en effet acheter n'importe qui, sauf précisément celui que l'argent indiffère, et qu'il suffit de cela pour lui échapper.
La volonté et la passion sont ici présentés comme la plus grande richesse, celle qui dispense un homme de courir après la fortune et le pouvoir. Parce qu'il se suffit à lui-même et que sa passion lui fait vivre sa vie comme une idylle avec la nature, Silvère Sauvagin s'attire la haine et la jalousie de tous ceux qui ne peuvent vivre sans dominer, sans écraser, sans exister aux yeux de leurs semblables. Christophe Trayaz est un homme pervers parce que, comme il le confesse à un moment, il s'ennuie terriblement et ne sait pas quoi faire de cet argent qu'il a passé sa vie à amasser. Son immense fortune lui autorise tous les caprices, mais ne génère aucune passion. Alors que sans guère de moyens financiers, Silvère Sauvagin trouve son bonheur à ses pieds, là où son oncle ne l'a trouvé nulle part, pas même de l'autre côté de la planète. Trayaz voit dans la passion tranquille et innée de son neveu le constat d'échec de sa propre existence passée à courir après la richesse et la domination. Cherbuliez en déduit que le secret du bonheur repose dans la volonté de s'y investir, et non pas dans la course effrénée des moyens qui permettent de choisir sans restriction ce que l'on n'est jamais parvenu à choisir à la base.
Ce culte de la volonté individuelle alliée à la passion amène Victor Cherbuliez à émettre un jugement très dur sur la femme en général, qu'il juge peu encline à cette volonté suprême. Sensible à la fois à toutes les tentations et à toutes les inquiétudes, la femme, selon Cherbuliez, est incompatible avec la réalisation de soi-même au travers d'une passion. Attirée par le luxe, impressionnée par le pouvoir, désireuse d'être aimée par les autres, terrifiée à l'idée d'être mal jugée par eux, la femme est trop versatile pour tout homme ayant une idée fixe. Silvère Sauvagin en fait douloureusement l'expérience : chéri de quasiment tous les personnages féminins de ce roman, qui sont forcément émus par un garçon qui aime autant les fleurs, ces femmes finissent toutes par le trahir ou l'abandonner, sentant comme une mésalliance ce garçon qu'elle ne parviendront jamais à assujettir à leur cause. En dépit de la tendresse, des sentiments et de la douceur que Silvère leur inspire, leur objectif n'est pas fondamentalement différent de celui du vieil oncle : plier, soumettre, formater.
Cette misogynie farouche était relativement commune au XIXème siècle, particulièrement dans le monde des lettres, mais Victor Cherbuliez sait en faire une démonstration convaincante, argumentée et peu facile à contredire, même s'il laisse toutefois une porte ouverte avec le personnage de Sally, la petite quakeresse sauvageonne et caractérielle, secrètement adoptée par Trayaz bien des années auparavant, qui finalement remportera la majeure partie de l'héritage du vieil oncle, et peut-être même le coeur de son neveu.
Malgré quelques archaïsmes, "Après Fortune Faite" fait partie des romans de Victor Cherbuliez qui ont le mieux vieilli, car il aborde avec beaucoup de rigueur et de réalisme une incompatibilité entre les êtres que rien n'est venu adoucir depuis un siècle. Mais le constat qu'il en tire est assez désespéré. L'homme qui a une vocation qu'il fait passer avant l'orgueil des gens a tout avantage à cesser de les fréquenter, à ne plus croire en leurs valeurs, à ne plus partager leurs quotidiens, car tôt ou tard, ils chercheront à le punir de sa singularité. La richesse d'âme fait les destinées solitaires, et il faut laisser aux moutons leurs préoccupations grégaires.
On peut néanmoins trouver cette philosophie quelque peu aride, particulièrement à notre époque où il est question de lutter contre les séparatismes, les radicalisations et les terreurs survivalistes. Mais indéniablement, la démonstration est convaincante, et d'autant plus convaincante que le roman est tout à fait réussi. Libre donc à chacun(e) de se faire sa propre opinion à partir de cette fable moderne pour grandes personnes désabusées, qui mérite amplement d'être redécouverte.
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