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Critique de ktylauney


Au crépuscule Gouri roule vers le village de Chevtchenko où il est attendu par ses amis Iakov et Vera.
Deux années se sont écoulées depuis l'accident nucléaire qui a dévasté Tchernobyl.
Derrière sa moto une remorque attachée avec un bricolage de fortune. Il a l'intention de se rendre plus tard dans la zone. Quand il s'arrête pour faire le plein le pompiste devine sa destination et le met en garde. Certains partent vers Pripyat et ne reviennent jamais. Les pilleurs et les trafiquants pullulent et le danger est omniprésent.

Oui, mais Gouri a besoin de retourner à tout prix dans sa maison de Pripyat pour ramener quelque chose auquel il tient beaucoup.

Vera est heureuse de revoir Gouri. Ils boivent à leurs retrouvailles et un dialogue s'engage entrecoupé quelquefois de silences.
Son mari, Iakov, est gravement malade ; Ksenia, la fille de Gouri aussi.
Piotr, un gamin du coin recueilli par un couple de personnes âgées, Leonti et Svetlana, est traumatisé et ne parle quasiment plus.

Autour du repas du soir composé d'une soupe et de chou sont réunis Iakov, Vera, Gouri, Leonti, Svetlana, Piotr et Kouzma, un jeune gars arrivé au printemps et qui traficote dans les environs. C'est une soirée ponctuée de poésies, de chants et de musique. D'un peu de joie qui succède à la tristesse après que chacun se soit confié sur les conséquences de la catastrophe.
Après ce repas Gouri partira à la nuit tombée direction Pripyat afin d'en rapporter un objet bien particulier.

Les personnages sont attachants et on éprouve de l'empathie face à ce qu'ils endurent.
Iakov sait que ses jours sont comptés.
Leurs témoignages à tous sont poignants.
Iakov avait été réquisitionné pour nettoyer la zone et " enterrer la terre " après avoir travaillé au contact du réacteur. Quant aux scènes qu'ils a pu voir, j'espère bien que personne d'autre n'aura jamais à les voir. Comme ces arbres qui, dit-il, rougeoyaient, brillaient ; la pluie noire qui tombait sur eux, les centaines de moineaux aveugles qui s'écrasaient sur les pare-brise des voitures pour finir par mourir, les maisons ensevelies, les animaux domestiques abattus. Et au-delà des scènes de désolation, la maladie, la souffrance et la mort.

Réquisitionnés pour faire leur travail de citoyen leur disait-on...
Sacrifiés pour une patrie qui n'informait personne sur les dangers du nucléaire.
Destinés à mourir...

Kouzma, de son côté, a vu la maison de son enfance disparaître dans un énorme gouffre avec tout ce qu'elle contenait. Dont une boule de neige avec une Tour Eiffel à l'intérieur, cadeau d'un ami de son père. Petite chose qui avait surtout une valeur sentimentale.
Quelquefois ces simples objets qui vous ont apporté du bonheur emportent avec eux un morceau de votre coeur en disparaissant.

Pour son livre " La nuit tombée " Antoine Choplin a reçu le Prix France Télévisions en 2012.
Ce prix est mérité. L'auteur met en scène des gens du peuple comme vous et moi, dont les vies ont basculé après l'explosion du réacteur de la centrale nucléaire de Tchernobyl.

" Ils étaient venus ensemble, c'était tout près d'ici, Ksenia et lui, au matin du 26 avril.
Voir un peu.
Le bleu étrange de l'incendie.
Les irisations. Cette féerie.
Ils avaient même hésité à s'approcher encore. Une chose insignifiante -- il ne pouvait se souvenir quoi exactement, une course à faire, un rendez-vous ? -- les en avait empêchés. Ils y seraient allés sinon, main dans la main. Encore plus près. Ils se seraient jetés là-dedans pour de bon, père et fille ensemble, pris par l'intensité du spectacle, le sourire, presque, à leurs visages. Comme ces autres enfants rassemblés du côté de la voie ferrée, offrant leurs chants et farandoles au feu d'artifice. Et envoûtés une fois pour toutes. Aujourd'hui, ou demain, disparus. " ( Citation du livre )

Ce passage je le trouve particulièrement terrible. Toutes ces personnes venues regarder la beauté du spectacle se déroulant devant leurs yeux en ignorant que c'était la mort qu'ils étaient en train de contempler.

Ce que j'ai énormément de mal à comprendre c'est qu'au début du repas, quand Iakov présente son ami à Leonti, il lui dit qu'avant d'être écrivain public à Kiev Gouri travaillait pour ceux de la centrale.
Alors pourquoi ce dernier n'était-il pas au courant des risques de l'atome en cas d'accident ? Je reste dubitative.

Le sujet est traité avec pudeur. le récit est simple, tout comme le sont les protagonistes. Les phrases sont courtes, les dialogues entrecoupés de silences n'en sont que plus percutants et font mouche.
Ce voyage de Gouri à la nuit tombée est touchant et on ne peut s'empêcher de penser à une scène similaire relatée dans l'excellent livre de Svetlana Alexievitch " La Supplication : Tchernobyl, chroniques du monde après l'apocalypse ".

Une nuit tombée où brillent à présent des milliers d'étoiles. Les âmes des suppliciés de Tchernobyl qui ont été fascinés un jour d'avril 86 par une irisation belle et mortelle dans un ciel bleu étrange.
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