A-t-il rêvé cette visite ? A-t-il rêvé ce danger ? Pour la première fois depuis son arrivée à l’hôpital, il s'est senti menacé par autre chose que sa maladie. Il vient de prendre conscience de sa faiblesse. Il ne peut plus se défendre. Un sentiment de médiocrité, un vide immense. Ses lugubres réflexions reviennent, toujours accentuées par la nuit, dans un calme seulement troublé par la rumeur glaçante des machines.
La mauvaise foi, comme la mauvaise haleine, seul celui qui l'a ne s'en rend pas compte.
A l'accueil, une salle d'attente est réservée aux familles. Devant les sièges, sur de petites tables, des dépliants vantant le don d'organe rappellent que de nombreux patients ne sortent pas d'ici sur leurs deux pieds.
Les bateaux de bois, parfois déposés sur la vase comme des jouets abandonnés, se transforment quand l'eau monte en fiers soldats, prêts à affronter l'océan.
Il se sent dans la peau d'un condamné à mort, qui ne sait pas si la sentence sera appliquée, et dont l'attente représente la peine la plus abominable.
Depuis qu'il côtoie des blouses blanches vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les médecins sont banalisés. Démystifiés. Ils vaquent à leurs occupations comme les employés de n'importe quelle entreprise, parfois avec ardeur, parfois avec lassitude.
La main droite ne bouge pas, la gauche non plus. Pas paralysées, plutôt entravées, attachées. Un réveil en forme de cauchemar. Il ouvre les yeux, il est en sueur. Il a l’impression d’être à la merci d’un serial killer assoiffé de sang, prêt à le dépecer.
La mauvaise foi, comme la mauvaise haleine, seul celui qui l’a ne s’en rend pas compte.
Ce n'est pas parce qu'on est aux urgences qu'on va lui ouvrir le ventre pour l'opérer au milieu du couloir...
Un lundi, s'il y a suffisamment de place et si l'emploi du temps n'est pas trop chargé, on le prend dans le service. S'il a de la famille autour qui pleure et qui insiste, on peut même arriver à le sauver. Et bien, maintenant, imaginez que les pompiers emmènent aux urgences un patient identique un vendredi soir, et qu'ils le laissent tout seul. Il n'y a pas de proche pour l'accompagner. Le type est en surpoids, et n'a pas une bonne hygiène. Un moment où le service de réa est un peu engorgé. Dans ce cas, quand les urgences nous appellent, nous leur disons que non, nous n'avons pas assez de place pour ce monsieur. Le gros patient doit attendre. Et il va rester aux urgences pendant des heures, avant de mourir tranquillement, sur son brancard. Des fois, on doit un peu l'aider à partir. On appelle ça " sortir les outils de jardin "... Alors qui vit, qui meurt? Les dieux de la réa décident...