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Critique de Apoapo


Exergue du livre : « La prière est un coït avec la Présence divine » (Baal Shem Tov, rabbin ukrainien du XVIIIe siècle).

Grâce à mes propres incroyances – que je partage, je crois, avec l'auteure très estimée – j'ai été attiré et non choqué par le titre de ce livre et par l'exergue sous laquelle il se place. Les circonstances de l'actualité : ce qui a tout l'air d'un renouveau des actes meurtriers-sacrificiels perpétrés au nom de Dieu, ont compté pour beaucoup dans mon intérêt pour une démarche de mise en perspective à la fois diachronique et inter-religieuse. Rien de nouveau sous le soleil, donc.
En revanche, ce qui m'a paru véritablement choquant, peut-être par ma plus grande proximité culturelle, ce sont les récits concernant les martyres chrétiennes, en particulier Catherine de Sienne, Thérèse d'Avila et Christine de Saint-Trond (XIIe siècle), à cause de la profondeur perverse de la conception du mysticisme qui était la leur et celle de leur milieu qui les a béatifiées. J'entends par là non la perversion liée à la chose sexuelle, qui est constante dans toutes les expériences singulières et toutes les traditions religieuses examinées (chrétienté, hindouisme, islam notamment soufi, judaïsme hassidique, sans oublier le paganisme où tout est toujours plus clair, plus logique...), mais la perversion relative aux violences exercées sur soi : mortifications diverses, jeûnes, coprophagie assortie de toute une palette d'autres abjections orales, mutilations, nécrophilie (si je n'ai pas mal compris)... Dès lors, il m'a semblé que les lévitations, transes, suspensions temporaires de la conscience, morts apparentes, balancements de talmudistes et tournoiements de derviches, et même les hystéries pluri-décennales des Ursulines de Loudun au XVIIe siècle étaient, par comparaison, des phénomènes proprets et gentillets...
Autre problématique déconcertante propre à la chrétienté : comment se fait-il que pendant si longtemps, en présence de symptômes et de discours quasi identiques, des circonstances fortuites ont fait de certaines mystiques des saintes et d'autres (sans doute la plupart), des sorcières condamnées et brûlées sur le bûcher ? le seuil était-il donc si étroit, la (re)connaissance collective si incertaine ? Ou bien trop grande la passion moralisatrice – dans un sens ou dans l'inverse ? Comment se fait-il qu'il ait fallu attendre le tournant du XXe siècle rationaliste pour que la dernière épigone de cette lignée malheureuse (la dernière, vraiment?), Pauline Lair Lamotte dite Madelaine le Bouc, soit internée en psychiatrie, où le professeur Janet, successeur de Charcot, analysa à la loupe les effets physiologiques des orgasmes mystiques de sa patiente ? Et là encore : bien piètre science !

Hormis ces considérations personnelles, j'ai apprécié grandement, dans cet ouvrage, qu'une variété de sources aient été traitées de manière à faire ressortir l'unité de la thématique : à part les matériaux historiques, on ressent le poids, dans tout ce qui a trait à l'univers hindouiste, des témoignages et analyses de Sudhir Kakar, avec lequel l'auteure avait co-rédigé un essai, de même que la contribution de Kudsi Erguner en ce qui concerne le soufisme en Turquie ; j'ai beaucoup aimé l'ouverture sur la musique – Oliver Sachs – et sur la littérature – Romain Rolland, le récit de Majnûn et Laylâ, celui de Tristan et Isolde dans sa version wagnérienne – sans oublier la sculpture du Bernin, L'extase de Sainte Thérèse. Une mention spécifique requiert naturellement l'exégèse du Cantique des cantiques, qui fait l'objet d'un chapitre à part (« Unique est ma colombe », pp. 123-131) et comporte un dialogue imaginaire entre Bien-Aimée et Bien-Aimé d'une très grande beauté.
Pour le reste, le texte tout entier est émaillé de la séduisante érudition de l'auteure ; et ça fait du bien, ça permet même d'avaler autant de turpitudes !
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