Dans ces conditions, il n'est pas étonnant d'assister à une politique des traductions fondée sur la facilité et le rendement commercial. Les éditeurs, ces "tyrans de la littérature actuelle" comme les appelle l'historien Nicolae Iorga ne sont pas des philanthropes et n'ont pas vocation à la faillite. Le malheur de la Roumanie de l'entre-deux-guerres est de disposer d'une élite intellectuelle –universités, journalistes, cercles mondains– assez importante numériquement pour constituer un marché du livre relativement rentable. Les valeurs confirmées et la dernière mode littéraire circulent ainsi dans leurs versions originales. Le lecteur "populaire" est relégué, lui, à une littérature industrielle.
L'élite culturelle roumaine a jalousement conservé sa culture élitaire. La solution était peut-être de rompre les barrières qui séparaient de manière plus ou moins nette et plus ou moins perméable les circuits lettrés des circuits populaires où l'on distribuait unilatéralement une production de série qui permettait quelquefois des actes de lecture littéraire, mais ne donnait aucune possibilité de réponse autre qu'anonyme, mythique et statistique.
p. 70-71
Les traducteurs des poètes français [en roumain] sont eux-mêmes des poètes, parfois de très grands poètes comme Tudor Arghezi, Ion Vinea, Ion Pillat. Curieusement, ce dernier est le seul parmi eux à publier entre les deux guerres des volumes indépendants de traductions : Anabase de Saint-John Perse, des poèmes de Francis Jammes (avec N.I.Herescu) et des poèmes de Baudelaire. Ses traductions de Perse et de Baudelaire ont recueilli les éloges unanimes de la critique.
(p. 81)