AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de kielosa


Rosemary Kennedy aura vécu 86 ans, de 1918 à 2005, mais il convient en fait de diviser cette plutôt longue existence en 2 parties bien distinctes : les 23 ans ans avant une lobotomie désastreuse et les 63 années restantes, comme invalide à la mobilité réduite et virtuellement abandonnée par les siens.

Je trouve que l'auteure, Kate Clifford Larson, cependant une historienne de renom, bien indulgente ét pour le père de la victime, Joseph Kennedy, qui a organisé cette intervention chirurgicale douteuse ét surtout pour l'honorable docteur Walter Freeman (1895-1972) qui a lobotomisé des milliers de personnes dont beaucoup ont souffert de l'une ou l'autre séquelle grave le restant de leurs jours, sans parler de ceux qui n'y ont pas survécu !

Je dois dire que je pense que le journaliste scientifique américain, Jack El-Hai, est à juste titre beaucoup moins indulgent pour ce toubib se prenant pour Dieu, mais qui n'était même pas chirurgien, et son ouvrage de 2005 sur Walter Freeman "The Lobotomist : A Maverick Medical Genius and His Tragic Quest to Rid the World of Mental Illness" ou l'histoire d'un génie médical franc-tireur et sa quête tragique de débarrasser le monde de maladie mentale, n'en laisse pas l'ombre de doute.
Que l'on ait laissé cet apprenti-sorcier agir à son aise pendant 3 bonnes décennies a de quoi être stupéfait, choqué et scandalisé. D'autant plus que de nombreux neurologues se sont toujours "catégoriquement opposés à cette technique".

La lobotomie, qui est actuellement interdite dans la plupart des pays, est une opération chirurgicale du cerveau  qui consiste à sectionner ou à altérer les tissus fibreux blancs reliant les lobes frontaux au reste du cerveau. Pour cette raison un autre nom pour cette opération est "leucotomie" de leukos, qui en grec ancien signifie blanc. C'est une méthode qui était utilisée pour toutes sortes de troubles mentaux, allant de schizophrénie paranoïaque en passant par des troubles obsessionnels compulsifs, des troubles bipolaires à de fréquentes migraines. La grosse majorité des lobotomisés, à peu près 80 %, étaient de sexe féminin. L'obligation d'assentiment préalable par la personne concernée, après information sur les risques potentiels de l'intervention, n'est venue que beaucoup plus tard. Aux États-Unis dans les années 1980 seulement.

La lobotomie était effectuée sous anesthésie locale, car le patient devait rester conscient de façon à permettre aux chirurgiens "de surveiller l'effet de chaque incision dans le cerveau". C'était une opération pénible et douloureuse, que l'auteure a cliniquement décrite dans son livre, mais que je vous épargne, parce que trop affreux.

À la 4e incision, Rosemary Kennedy, en novembre 1941, "devint incohérente et cessa lentement de parler" (page 219). Très vite, il s'avéra que sa lobotomie était un véritable désastre : elle ne pouvait plus ni marcher, ni parler.
Des années de rééducation et entraînement ne lui ont pas permis de recouvrir l'usage normal de ses membres.
L'intervention chirurgicale avait, en plus, effacé "des années de développement affectif, physique et intellectuel".
L'infirmière qui a été l'assistante à l'opération en a été tellement traumatisée qu'elle a dû changer de métier.

Joseph Kennedy Sr. (1888-1969), le père du Président John Fitzgerald assassiné en 1963 et du sénateur Bob assassiné 5 ans plus tard, s'était comme à son habitude bien renseigné sur les risques d'une lobotomie, même en mobilisant sa fille Kathleen (1920--1948), qui lui avait prévenu des résultats "vraiment insatisfaisants" et que les lobotomisés "n'existaient plus en tant qu'individus".
Après son rappel par le Président Franklin Delano Roosevelt comme ambassadeur en Angleterre, en octobre 1940, pour son attitude équivoque à l'égard d'Adolf Hitler, le père Kennedy avait transféré ses ambitions personnelles sur ses fils. Et c'est là que se situent les craintes qu'il a eu que Rosemary puisse compromettre ces ambitions par un acte insensé. Il voulait absolument croire Freeman qui lui avait assuré que la lobotomie "rendrait la jeune femme plus docile, moins sujette à des sautes d'humeur".

À part son père Joseph, qui payait royalement ses séjours et soins chez les soeurs de Saint-François-d'Assise dans le Wisconsin, elle n'a plus vu sa mère, ni ses frères et soeurs. le sujet Rosemary était tabou chez les Kennedy. Envers son épouse Rose, Joseph adoptait un optimisme de façade en lui disant qu'elle allait "très bien" (page 225).

Mary Clifford Larson dans son ouvrage nous raconte aussi plein de faits sur la famille Kennedy, que je ne résume pas ici, ayant préféré me concentrer sur Rosemary et cette horrible lobotomie.

Étrangement, en lisant l'affligeante mésaventure de Rosemary Kennedy, j'ai été envahi par le même double sentiment de déception fondamentale et colère comme lorsque j'ai lu, il y a 2 ans, l'excellent ouvrage d'Anne Delbée "Une femme" sur le sort épouvantable réservé à la grande Camille Claudel. En somme, pas si étrange que ça, vu d'une certaine perspective... familiale ! Voire mon billet du 19 mai 2017.
Commenter  J’apprécie          5245



Ont apprécié cette critique (50)voir plus




{* *}