"Faire carrière en politique en conservant son honnêteté était pure illusion." (p. 258)
S'il suffisait d'être innocent pour n'avoir rien à craindre, nous vivrions dans un monde très différent.
Parmi les boutiques et les étals en plein air, des files de planches délimitaient un parcours qui conduisait à la basilique. En regardant cette dernière qui se dressait au fond de la place, Mondino fut captivé par les quatre grands chevaux de bronze doré et argenté, transportés par voie maritime depuis l'hippodrome de Constantinople avant d'être placés au-dessus du portail central de l'église.
La façade entière formait un spectacle barbare : une accumulation de trésors pillés, de statues, aiguilles, piliers et mosaïques qui n'avait rien en commun avec les façades de brique rouge ou, tout au plus, de marbre blanc des églises bolonaises. Elle transpirait non pas la puissance de l'église du Christ, mais celle de Venise et des Vénitiens.
David se dirigea sans répondre vers la galée qui attendait puis il s'arrêta net et lâcha : "Quand il s'est aperçu que je suis juif moi aussi mais que je ne porte pas la rouelle sur la poitrine, il a failli me dénoncer. Je n'ai pas honte d'être juif. Mais j'ai honte de devoir porter un signe distinctif. Si au moins il n'était pas jaune...
- Qu'est-ce que la couleur y change ?
- Ma mère aussi portait un voile jaune. Je hais cette couleur."
- Ne sachant que répondre, Mondino préféra se taire. Davide venait de lui révéler qu'il était le fils d'une prostituée chrétienne et d'un père juif, une combinaison dont il était difficile d'être fier.
On craignait des désordres pour la fête de la Sensa, l'Ascension, dont le point d'orgue était la cérémonie grandiose du Mariage avec la mer, qui se déroulerait dans dix jours. Seule la punition exemplaire d'un bouc émissaire permettrait de les éviter. Ce rôle était revenu à Eléazar, homme isolé et mal vu par nombre de personnes, y compris au sein de sa communauté, parce qu'il était ouvert à toutes les races et à toutes les religions.
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- C'est une femme, l'interrompit-elle.
- Comment ?
- Celle que tu vas voir à Venise. Si c'était un homme, tu aurais dit son nom. Mais tu as dit "une personne". C'est donc une femme.
Voilà pourquoi Mondino n'aimait pas discuter avec les femmes. A cause de leur flair. Gandone s'était seulement préoccupé de savoir si le voyage imprévue de Mondino à Venise pouvait changer quelque chose à leur accord et, une fois rassuré sur ce point, il ne s'était pas interrogé sur le sexe de la personne que Mondino allait rejoindre à son chevet. Mina, quant à elle, ne semblait ne se soucier que de ce dernier point.
"Quel est le rapport ? répondit-il. Elle est malade, peut-être mourante. C'est mon devoir de médecin..."
Il entendit un bruit, sentit sa joue le brûler, vit la servante se signer, et finit par comprendre que Mina l'avait giflé.
Jusque-là, Mina n'avait jamais fait allusion à Adia. Si un jour elle l'interrogeait à son propos, Mondino était décidé à dire la vérité, ainsi qu'il l'avait promis. Ils se disputeraient, se feraient des reproches, mais leur relation en sortirait grandie. Parce que entre deux personnes qui s'aiment profondément la vérité est une force, non un danger.
Ici comme partout les nobles faisaient n'importe quoi pourvu qu'ils se fassent remarquer.
Dès qu'il avait décidé de partir, il avait rendu visite à Gerardo, qui l'avait accueilli vêtu comme un godelureau et avait refusé de venir avec lui sous un prétexte visiblement fallacieux.
Gerardo ne trouvait pas les mots pour exprimer son étonnement, son exultation et sa vague terreur. Le monde était beaucoup plus vaste qu'il ne l'avait cru. Il existait des terres que la Bible ne mentionnait pas et dont même Aristote n'avait pas parlé.