Lucas lève légèrement les yeux au ciel, il bout de se retrouver au milieu d'un colloque écologiste improvisé, lui qui s'en lave les mains, nuit et jour, surtout la nuit lorsqu'il achète des kilos de civelles pêchées au pied du barrage d'Arzal.
Je regarde par la fenêtre, les nuages filent à vive allure, la marée est basse, la mer se retient, elle pourrait encore faire des siennes, comme une dizaine de jours auparavant. La tempête nous a rappelé, à nous les Bretons, que l'on est peu de chose lorsque l'océan se lance à l'assaut de nos côtes, terrasse les dunes, dessale les marais, retourne les bateaux comme des crêpes, mitraille les quais d'écume, assassine les fous. Les météorologues l'ont appelée Zelly. Enfin, ce n'est pas tout fait ça : en vadrouillant sur le Net, j'ai trouvé un article, j'ai d'abord pensé que c'était une fake news, mais non. C'est bien un milliardaire breton qui a fait un chèque d'un million d'euros, en échange de quoi il a choisi le nom de la tempête. Il n'a pas dit pourquoi « Zelly » mais, ici, sur la presqu'île de Guérande, le milliardaire s'est fait rhabiller pour l'hiver : au lieude vomir ses dollars, il aurait mieux fait d'organiser un téléthon, de mouiller la chemise.
Ce qui compte le plus dans la vie, c'est la fragilité. Si on ne se sent pas fragile face à la mer, est-ce qu'on peut la prendre? Non. Si on ne se sent pas fragile en amour, est-ce qu'on peut aimer? Non. Et pourtant, c'est l'amour, et lui seul, qui nous permet de résister à toutes les épreuves...
C'est on ne peut plus clair. Mais le major semble ignorer que dans toutes les familles bretonnes, il y a quelque chose qu'on se transmet de génération en génération, comme la recette du kouing amann : c'est la loi du silence. Didrouz lezenn.
( p 48)
La voix de Marceau Soldani me glace le sang.
- Ce n'est pas le moment de t'enfuir, Klervi, sauf si ti veux précipiter les choses. Pour l'instant, tu n'es pas en garde en vue et, comme au Monopoly, tu n'es pas tombée sur la case " prison". On veut juste discuter tranquillement avec toi, tu comprends ?
( p 86)