Pour commencer, comme il se doit, je remercie les éditions Milan et Babelio de m'avoir offert ce livre dans le cadre de l'opération Masse critique Jeunesse de novembre dernier. Je l'avais repéré en librairie depuis un moment mais ne m'étais pas encore décidée à l'acheter, je n'ai donc pas hésité lorsque je l'ai vu dans la liste des livres proposés pour cette Masse critique, et la chance a fait le reste !
Je précise aussi dès à présent que, quand je choisis un quelconque livre jeunesse, je ne peux plus m'empêcher de me demander s'il plaira aussi à mon fils aîné, 14 ans presque-et-demi, et grand lecteur lui aussi. J'aurais aimé partager celui-ci aussi avec lui, pour pouvoir donner son avis au moins en partie… mais je me suis mal organisée dans mon planning de lectures et viens seulement de terminer ce roman, à quelques heures de l'échéance pour remettre mon commentaire ! Il faudra donc se passer, pour cette fois, de l'éclairage que j'aurais pu avoir à la suite d'un partage avec mon grand, qui appartient pourtant très précisément au public-cible, l'auteur indiquant que ce livre convient à partir de 14 ans… (bien entendu, je vais lui proposer ce livre… mais ce sera trop tard pour le commentaire !)
C'est donc ici mon seul avis d'adulte née au début des années 1970, avant les chocs pétroliers, et bien avant que les scientifiques parfois tellement alarmistes aujourd'hui (et sans aucun doute à raison) ne commencent à s'inquiéter sérieusement quant aux conséquences sur la nature, de nos nouvelles habitudes d'une société de plus en plus consumériste. Tout ça pour dire aussi que, si je ne suis plus de cette génération de « jeunes » qui s'inquiètent d'écologie d'une façon très revendicative, à l'image d'une
Greta Thunberg ou d'autres, je ne fais pas non plus partie de ceux qui ont tout détruit les yeux bandés – après tout, je n'étais moi-même qu'une ado bien démunie quand une vague conscience écologique a commencé à émerger, mais à l'époque rien de concret ni d'organisé, en plus à une époque où les réseaux sociaux n'existaient pas du tout…
Mais revenons donc à ce livre, qui m'a plutôt bien plu, tout en me laissant un petit goût mitigé.
L'écriture est fluide et facile à lire, avec un côté didactique présentant parfois quelques longueurs… qui ont fini par m'agacer quelque peu. On a compris d'emblée que ces algues vertes deviennent mortelles dès lors que, échouées sur les plages bretonnes, elles entrent en décomposition, émettant ce gaz mortel (pour l'homme comme pour les animaux) qu'est le sulfure d'hydrogène ; on a compris aussi très vite que les alevins d'anguilles, ces fameuses civelles, sont une espèce protégée car en voie d'extinction, mais font depuis peu l'objet d'un trafic illégal au moins aussi lucratif que la drogue, voire plus.
Mais voilà, à travers la voix de notre personnage principale, Klervi, qui s'exprime à la 1re personne du singulier, ces faits sont dits et répétés, ça tourne en boucle même, par moments, on ne voit plus que cette « laitue verte » qu'on aurait envie d'enlever de nos lunettes pour distinguer autre chose ; c'est tout simplement trop ! Cette insistance didactique aurait pu être un peu raccourcie, ou bien il aurait été intéressant de voir Klervi se renseigner, par exemple sur le site apparemment bien fait (que l'on trouve en quelques clics à peine) : https://www.algues-vertes.com/ qui traite précisément du sujet de ce livre (et en Bretagne !), puis le lecteur consulte ou pas, c'est son choix, mais au moins on aurait évité cette impression d'être inondé d'un surplus d'informations qu'on avait comprises dès le départ…
Cela dit, cette légère contrariété liée à un sentiment de « trop » de répétitions explicatives sur le problème principal que relève ce livre ; ce léger ennui, donc, est contrebalancé par le fait que l'auteur montre bien à quel point ce souci écologique peut être emberlificoté dans d'autres réalités, comme la loyauté envers sa famille, et cette tradition apparemment très bretonne de faire de la contrebande depuis toujours… et si ça tombe sur ces alevins en danger d'extinction, eh bien tant pis ! Certes, Klervi se pose des questions, est prête à collaborer avec la gendarmerie… mais faut pas aller trop loin quand même, et dans ce premier tome en tout cas, jamais elle ne dénoncera son petit ami, Lucas, héritier d'une puissante famille de la région, qui est pourtant plongé jusqu'au cou dans l'affaire, ce dont elle est bien consciente.
Klervi, 17 ans donc, est bien la personnage principale, et tout tourne autour d'elle, on est réellement plongé dans sa vie, dans ses pensées ; le livre étant écrit un peu comme s'il s'agissait d'un journal intime – sans les artifices habituellement liés à ce genre de choix littéraire. Je veux dire : elle ne s'adresse pas à un « cher journal », elle ne note pas de date, etc., mais c'est bel et bien elle qui raconte son histoire, on est en plein dans une perspective narrative intérieure tout à fait maîtrisée, dont l'auteur ne dévie jamais.
On colle ainsi au plus près de ses aventures, de ses découvertes, mais aussi de ses sentiments, ses peurs, ses doutes. On la sent, par exemple, très amoureuse de son Lucas, c'est même proche d'une certaine idolâtrie comme on peut la rencontrer à cet âge de l'adolescence (ce qui, dès lors, paraît très juste), tandis que la réciprocité de ce sentiment m'a semblée moins évidente à saisir. On comprend comme elle est inquiète pour son frère jumeau
Jezéquel, victime (dans le coma) de ces algues vertes, et avec ses mots à elle on regrette que les deux se soient éloignés ces derniers temps (un fait pourtant classique quand il s'agit de jumeaux, ou d'amis d'enfance très proches d'ailleurs, à l'entrée dans l'adolescence…), ou bien on découvre qu'il souffrait d'éco-anxiété, nouvelle affection encore peu connue, qui touche surtout les jeunes, affectant réellement la santé mentale et provoquant, dans certains cas, des comportements dangereux voire extrêmes.
Cela dit, j'ai regretté que l'auteur joue le jeu de la jeunesse de façon un peu trop marquée (je répète que c'est ici mon avis d'adulte), malgré un langage très adulte (et c'est tant mieux) qui tend parfois à "faire jeune" mais ça ne dure jamais bien longtemps (et re-c'est tant mieux!). Cette jeunesse serait seule consciente des enjeux environnementaux au point de mettre leur santé mentale en péril, tandis que les seuls adultes réellement impliqués dans ce combat indispensable sont… les gendarmes ! tandis que les autres adultes lambda sont soit complètement inactifs (la mère de Klervi par exemple, qui a presque un rôle ambigu de potiche dans l'histoire), soit carrément impliqués du mauvais côté (toute la famille de Lucas). Or, j'aurais apprécié que les choses soient un chouïa mieux mises en perspective, pas forcément en donnant tout à coup un beau rôle aux adultes, mais en rappelant que ces jeunes, aussi idéalistes et activistes qu'ils soient, ont eux aussi une empreinte écologique !
En effet, si le but de ce livre est de conscientiser les jeunes non (ou moins) impliqués d'une façon frappante, à travers un polar potentiellement accrocheur, alors il manque un « petit quelque chose ». Très concrètement, pour ne citer qu'un exemple : l'auteur a bien insisté sur l'imbrication tellement compliquée entre souci écologique et « tradition » de braconnage pour ce qui concerne les civelles notamment, mais ne relève pas l'une des contradictions tout aussi évidente de cette jeunesse éco-anxieuse, qui a parfois tendance à rejeter « la faute » sur les adultes… Ces mêmes jeunes, même les plus durs écologiquement, ne peuvent pourtant pas vivre sans leur téléphone, ces téléphones qui contiennent tant de métaux rares, extraits de mines (de pays lointains certes) dans des conditions exécrables pour l'environnement (eh oui ! même si c'est bien loin de la Bretagne, c'est tout aussi mauvais pour la Terre, la même pour tous les hommes au final) et pour les travailleurs locaux. Certes, ce n'est pas le sujet du livre, l'auteur a choisi de le centrer quasi exclusivement sur la Bretagne (même s'il y a quelques allusions sur les ravages des feux de forêt sous d'autres latitudes), mais ça aurait valu la peine de soulever ce genre de contradiction au passage, vu le profond souci écologico-didactique qui sous-tend à tout ce roman.
En parlant de Bretagne : elle est sans aucun doute le deuxième personnage principal de l'intrigue, juste après Klervi. Cette dernière aime sa région : elle en apprend la langue, elle écoute les chanteurs locaux dont elle connaît certaines chansons par coeur (et en vo) ; on sent réellement qu'elle souffre des conséquences de ces marées vertes qui détruisent « son » littoral – et, pour le peu que j'en connais, c'est écrit avec une telle conviction que ça fait vibrer le lecteur qui en a quelques images en tête.
Dès lors, j'ai relevé quelques incohérences qui seraient sans aucun doute passées sans problème dans un livre moins ancré à une région spécifique (et aussi typique que la Bretagne), mais qui choquent dans ce contexte particulier. Par exemple, quand il est question d'un barrage sur la Vilaine, elle le compare tout à coup à un « impressionnant » barrage de montagne… c'est un gentil souci didactique (encore !) pour le lecteur, mais sérieusement, quel vrai Breton irait comparer un barrage de son pays à un barrage de montagne ?! Ou, un peu plus loin, au détour d'un dialogue, on lit « Ils risquent de finir en bouillabaisse. » Euh… ok, c'est dans la bouche d'un gendarme originaire de Paris, mais quand même : depuis quand fait-on de la bouillabaisse sur la presqu'île de Guérande ?! c'est la spécialité d'une autre région, d'une autre mer même, rien à voir avec la Bretagne, ça m'a tout à coup choquée (moi qui suis belge !) comme un bouton sur le nez !
En parlant d'incohérences, un autre détail m'a gênée : Klervi et
Jezéquel sont jumeaux, ok. Mais fille et garçon, donc forcément dizygotes, ce qui veut dire qu'ils sont issus de deux ovules fécondés par deux spermatozoïdes différents, ils n'ont donc pas le même patrimoine génétique, en tout cas pas plus qu'un frère et une soeur nés de deux grossesses différentes. Dès lors, quand on lit que Klervi dit à son frère dans le coma : « Mais c'est mal nous connaître, Jez, notre bal des chromosomes, ce n'est pas rien, ça n'a jamais été rien », soit l'auteur prend le lecteur pour un inculte, soit il prend sa narratrice elle-même comme bien peu renseignée – ce qui me semble quand même très improbable de la part d'une jumelle : à 17 ans, presque 18, si elle n'est pas au courant qu'un faux jumeau n'a pas de chromosomes communs avec sa soeur, c'est qu'elle n'a jamais rien écouté en cours et/ou qu'elle n'a jamais regardé la moindre émission sur le sujet, et ne se serait donc jamais inquiétée de cette particularité qu'est sa gémellité !?
Cela dit, comme évoqué plus haut, ces quelques points que je relève ne sont que des détails, qui m'ont frappée car ils apparaissent un peu comme des cheveux dans la soupe d'un livre par ailleurs très maîtrisé et jamais ennuyeux malgré ses quelques longueurs à caractère didactique, et qui a le mérite d'attirer l'attention des jeunes (et moins jeunes) lecteurs sur une réalité désastreuse, une conséquence directe du dérèglement climatique, qui salit la Bretagne déjà maintenant.
L'aspect polar reste léger, mais je suppose que c'est normal : on parle ici d'infractions écologiques, qu'il faut urgemment combattre on est bien d'accord, mais qui ne nécessitent pas (a priori) les mêmes dispositifs que la recherche d'un tueur en série par exemple… Pourtant le suspense va crescendo, une montée lente et peu angoissante, mais bel et bien présente.
Et puis paf, c'est la fin… ou plutôt l'absence de fin ! On le sait dès qu'on tient ce livre en mains : c'est un tome 1 d'une histoire qui comprendra donc d'autres tomes – le tome 2 est annoncé pour début février 2022, sans que l'on sache si l'histoire s'arrêtera là ou si d'autres tomes ultérieurs sont également prévus. Ainsi donc, on pouvait s'attendre à ce que tout ne soit pas résolu dès cet opus-ci… mais là, ça se termine d'une façon extrêmement abrupte, en pleine action ! Ce n'est pas un cliffhanger, ou alors il est raté, car j'ai plutôt eu l'impression d'avoir suivi l'auteur sur un chemin de plus en plus dangereux, pour me retrouver tout à coup au bord d'une falaise, abandonnée par l'auteur : tout est ouvert, tout est possible, et le pire arrive au moment précis où ce premier tome se referme !
Évidemment, cela donne envie de lire la suite, mais c'est quand même dommage de terminer cet opus-ci sur une certaine frustration.