Comment Bernard - "
Tout passe" – Bourgois, 2011 (ISBN 978-2-267-02167-7)
La technique d'écriture est irréprochable, le rendu voulu est impeccablement obtenu, ainsi dans la première nouvelle du recueil, "Flottement", où le texte même rend bien la sensation de flottement dans la piscine de la vieille dame flottant aussi dans des bribes de souvenirs.
Dans la deuxième nouvelle, intitulé "Un fils", un homme d'une cinquantaine d'année apprend par un notaire que son père vient de décéder ; ce père l'avait abandonné dans sa jeunesse pas dans Babelio : tout en le maintenant tout de même comme son héritier aujourd'hui ; et finalement le notaire lui révèle que ce père avait fait faire des tests montrant que "son" fils n'était pas de lui].
Dans "Hors jeu", un entraîneur d'équipe de foot abandonne son poste au cours d'un match décisif, en passant par le zoo, [en se remémorant un air de Schubert apprécié de sa mère, qui avait acheté un petit piano blanc lorsque son mari l'avait abandonnée avec ses deux enfants.]
La nouvelle intitulée "Fugue" évoque par bribes les retrouvailles, après dix-ans d'absence, entre une femme devenue alcoolique et son ancien amant de jeunesse, Pierre.
La plus longue des nouvelles s'intitule "Ne rien laisser" : un homme devenu riche s'est mis en tête de ne rien, rien laisser de sa fortune à ses enfants. [Pour ce faire, il change tout ce qu'il peut en billets qu'il stocke dans des boîtes à biscuits au fond d'un tunnel creusé sous la pelouse, en sachant pertinemment que cet argent devient inutilisable avec les changements successifs de monnaies ; pour finir, il va vendre toutes ses propriétés et récupérer des sacs de billets.]
La sixième nouvelle intitulée "L'annonce" décrit le sort d'un mari tellement jaloux qu'à l'annonce de sa mort prochaine du cancer, il a assassiné son épouse qu'il aimait par-dessus tout pour qu'elle ne puisse pas refaire sa vie avec un autre [il s'avère que le médecin ayant posé ce diagnostic de cancer foudroyant s'était trompé].
Vient ensuite "En mer", récit d'un homme réfugié sur un rafiot cassé et qui voit arriver une ancienne connaissance devenue à peu près folle, souhaitant s'installer elle aussi dans ce bateau.
Dans "Corrections", un vieil écrivain quelque peu oublié s'est vu proposer un véritable pactole par une fondation états-unisienne désireuse d'hériter de toutes ses archives littéraires [ ; comme il écrivait pratiquement d'un seul jet et sans rature, il se met à confectionner de faux brouillons remplis de repentirs et d'annotations pour faire plaisir à ces américains].
La dernière nouvelle, "Panne", évoque une panne électrique dans une future bibliothèque entièrement électronique, rendant toute lecture impossible...
Ce recueil de nouvelles appelle quelques remarques décousues. Pratiquement tous les personnages masculins sont négatifs, mauvais, égoïstes si ce n'est malfaisants : chacun pour soi, la plupart des héroïnes féminines ont été abandonnées de leur mari ; telle est la mode aujourd'hui, cet auteur n'y coupe pas. Deuxième remarque : ces textes bien construits, qui se veulent de la grande littérature incontestablement bien écrite, évoquent le plus souvent des situations tellement originales que, même si elles peuvent surgir dans la réalité, elles sont en dehors de la vie courante, comme c'est le cas dans les nouvelles "En mer" ou "L'annonce" ou "Ne rien laisser" ; c'est là l'une des principales différences avec le roman policier ou le roman noir, deux genres qui s'attachent au contraire à malaxer la vie courante des gens ordinaires.
La nouvelle la plus drôle finalement est bien celle qui est intitulée "Corrections"...