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Critique de fulmar


« You can't run and you can't hide
In the heart of Darkness »

chante Nicole Mac Kenzie.

Fleuve Congo, Joseph Conrad,
Allez, go, ou reste en rade !

Remonter le courant ou se laisser emporter par les flots?
Violente réalité des ténèbres ou illusion d'une humanité radieuse ?
La vérité ou le mensonge, le bien ou le mal, c'est tout l'enjeu de cette histoire.

Bien qu'il suit le cours du Congo, « Au coeur des ténèbres » n'est pas un roman fleuve, seulement 130 pages. Une longue nouvelle écrite par un voyageur maritime, mais ici point d'océan, les tempêtes sont intérieures, qui laissent un goût étrange, un roman de l'amer.
C'est une histoire mystérieuse, dont je suis ressorti sans être certain d'avoir tout compris. Quel est le message de Conrad, pourquoi a-t-il choisi cette écriture ?
Car il faut s'accrocher pour aller jusqu'au bout, un récit d'une seule traite, sans chapitres, ni même de paragraphes pour reprendre son souffle, à l'image de cette remontée du fleuve bordé de forêts menaçantes où l'accostage est à chaque fois énigmatique et dangereux.
Comme souvent, Conrad est parti d'une expérience vécue.
 « Au coeur des ténèbres » est en partie inspiré de son voyage au Congo, durant lequel il avait remonté le fleuve du même nom pour aller chercher Georges-Antoine Klein, un agent de la Compagnie du Commerce et de l'Industrie du Congo.
Dans le roman, c'est Marlow, qui peut être considéré comme un alter ego de Conrad, qui sera chargé de raconter sa remontée d'un fleuve d'Afrique noire, pour tenter de ramener Kurtz, chef d'un comptoir tombé malade. Cet homme, à la fois respecté pour l'efficacité avec laquelle il se procure de l'ivoire, et objet de soupçons par rapport aux méthodes qu'il utilise, est enveloppé de mystère.

Dès le début, en Angleterre, l'auteur introduit les principaux thèmes du récit.

« Au loin la mer et le ciel se joignaient invisiblement, et dans l'espace lumineux les voiles tannées des barges dérivant avec la marée vers l'amont semblaient former des bouquets rouges de voilure aux pointes aiguës, avec des éclats de livardes vernies. »

Une description du crépuscule qui donne à la mer un rôle essentiel. le soleil couchant octroie une importance à la lumière, en référence au titre du livre. La tombée de la nuit efface progressivement les côtes britanniques pour décrire ultérieurement la nature hostile de la jungle africaine.
J'y ai retrouvé le côté nature-writing américain lu récemment dans « La rivière » de Peter Heller.
La nature n'est pas simple décor mais signe annonciateur de l'action à venir.

« Remonter ce fleuve, c'était comme voyager en arrière vers les premiers commencements du monde, quand la végétation couvrait follement la terre et que les grands arbres étaient rois. C'était l'immobilité d'une force implacable appesantie sur une intention inscrutable » .

C'est aussi le voyage d'un homme vers un espace où n'existerait nulle trace humaine. Plus Marlow et son équipage s'enfoncent dans cette terre sauvage, plus la sauvagerie des hommes elle-même se déchaîne, la nature reprend ses droits et libère des passions enfouies.
Cette remontée du fleuve, c'est comme partir à la découverte de l'essence de l'homme, à son état primitif, meurtri par l'égoïsme et le manque d'empathie. L'homme est absurde, sa vie n'a pas de sens, la solitude sans échos.
Les ténèbres infectent-elles le coeur de ceux qui les traversent ?
Marlow se retrouve devant le mirage total de la vie lorsqu'il découvre la véritable nature de Kurtz, un homme en qui il plaçait ses naïves espérances, un imposteur qui abuse de son droit de vie et de mort sur ce qu'il appelle « la bête noire ». Il mourra.
A son retour en Angleterre, Marlow rencontre la fiancée de Kurtz.
Toute vérité est-elle bonne à dire ? Il choisit de lui épargner les ténèbres en la laissant à ses illusions. Détourner la réalité améliore-t-il le monde ?
Je vois dans l'attitude de Conrad toute la philosophie de l'oeuvre de Hermann Hesse écrite au siècle qui va maintenant débuter. En effet, « Au coeur des ténèbres » a été publié en 1899.
Aujourd'hui, tout autant qu'autrefois, le message de Conrad fait résonner l'histoire. Nous tentons tous de nous aveugler nous-mêmes quant aux réelles conséquences de nos actes. Hesse a choisi la spiritualité et le beau, Knulp versus Kurtz.

Retour à la Tamise, fin de l'histoire, lumière tamisée.
« Je levai la tête. le large était barré par un banc de nuages noirs, et le tranquille chemin d'eau qui mène aux derniers confins de la terre coulait sombre sous un ciel couvert – semblait mener au coeur d'immenses ténèbres ».
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