Citations sur Le Palmier de Palerme (15)
Il passa des jours à remettre de l'ordre dans les livres. C'est par eux qu'il devait commencer, par leur géographie claire, leurs limites certaines, par leur confort, pour pouvoir s'orienter, reprendre la route.
Ce n'est pas moi que tu refuses, mais tous les pères, ma génération, celle qui n'a pas fait la guerre, qui aurait dû reconstruire, après le désastre, ce pays, former une nouvelle société, une vie en commun, civilisée et juste.
Le jardin, disait-il, était un lieu platonique, ordre du monde, changement incessant, image du jardin intérieur, rêve du retour, de la restauration, mais blessure, aussi, tourment.
Mur qui s'écroule, intérieur qui se révèle, fuite haletante, limier qui ne lâche pas prise, issue parmi des ruines fouettées par la pluie, ironiques statues en perspective, crânes sur les chapiteaux, masques sur le bord des fossés, magasins réduits en cendres, livres qui se dissolvent dans les mains, elle accroupie au centre d'un carrefour, elle, hurlant et sanglotant, étendue dans la chambre, revenant du seuil extrême, de la terreur de l'insuline, qui entre et sort par la porte donnant sur l'abîme, le temps est figé dans ce passage continu, dans l'absence, tout au fond il y a les séquences, les connections fermes et vraies.
Sa peine allait à toute une génération réduite en cendres par un pouvoir criminel, enfantée par des pères pleins d'illusions, eux aussi épaves des naufrages les plus divers.
Mais tout voyage, il le savait, était tempête, tremblement, perte, douleur, enchantement et oubli, d"gradation, faute ensevelie, remords, hantise sans fin.
Ce fut alors la chute dans le gouffre médical, dans l'ignorance, dans la domination, dans l'intérêt cynique de sommités, maisons de santé, entourage repoussant, réseaux de chacals.
Bonheur, plénitude d'exister, c'était peut-être cela, en ce lieu, en cette maison qui était pour elle aboutissement, émerveillement de tous les jours, joie secrète, pudeur d'un amour, d'un destin inespéré. Qui calmait, effaçait peu à peu les mélancolies, les offenses, l'aversion et les bassesses de son père, la séquestration du collège.
Ses pas le conduisaient vers le lieu qui était le motif de son voyage, de sa persistance dans le monde, vers cet homme explicite et fuyant, ce fils qui se refusait à toute confidence, à toute tentative de récit, d'éclaircissement.
Jamais Aurelia et Chino n'étaient allés à la ville, ils n'avaient jamais entendu tant de vacarme, de hurlements appels boniments, tant vu courir et peiner au milieu des décombres, poutres fils ferrailles tôles tufs gravats, immeubles au coin des rues encore debout, tapisseries et faïences exposées à l'air, jarres et bidons écroulés sur les pavés, statues renversées, flèches d'église tranchées et coupoles éventrées.