AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de vibrelivre


White Spirit
Paule Constant
Gallimard, 1989, 224p
Grand Prix du roman De l'Académie Française
Prix François Mauriac



Paule Constant n'y va pas de main morte. L'Afrique lui prend les tripes. C'est féroce, c'est enlevé, c'est brut, c'est sordide, c'est désespéré. Parfois même on est dans l'absurde. Mais il y a de l'amour.
C'est Victor, sacré prénom pour un jeune ingénu, qui part en Afrique dans l'espoir d'être un directeur commercial, lui qui n'est diplômé en rien. le bateau porte le nom rassurant de la volonté de Dieu. Sa grand-mère, qui l'aime éperdument, est rassurée, même, elle est fière.
Un voyage dans la cale d'un navire, avec de temps en temps des sorties sur le pont pour prendre l'air. Lors d'une sortie il voit une femme nue. Il en parle aux copains. Silence ! C'est la pute du dirlo César, l'empereur des bananes, qui a beaucoup de mal à baiser. A l'arrivée, il la revoit habillée. C'est Lola, la métisse, pas encore Lolita, parce que pas assez blanche, pas assez blonde. La tenancière du bordel ne veut pas d'elle, mais l'encourage à faire des efforts pour ressembler à Marylin. Elle sera Belle-Beauty.
Quand il arrive à Port Banane, Victor pressent l'arnaque, et sait qu'il n'est pas au bon endroit dans son costume noir par une telle chaleur, et dans une telle poussière. D'abord une montagne boueuse et puante, c'est la banane qui pourrit faute de dockers pour charger les régimes sur les bateaux. Ensuite un bordel, pas d'autre distraction pour les hommes, il est puceau. de plus, un contremaître qui s'est fait avoir dans les grandes largeurs par son ex-associé César, et sur le point d'être supplanté par un plus jeune, qui vit barricadé dans sa cahute, avec comme seule présence aimante une guenon gravide, ce qui dégoûte Victor. le contremaître est harcelé par les enfants qui deviennent vite adultes et prêts à bosser comme des esclaves, et la haine des Noirs qu'il fait travailler vite, et dangereusement sous la pluie d'insecticides protégeant les fruits, mais qui peut tomber sur eux, parce que les aviateurs trouvent ça drôle d'en verser sur des Noirs. En tout cas, ces insecticides ont tué le cycle des saisons et la pluie naturelle.
Enfin, il est laissé dans un trou perdu à la tête d'un improbable magasin de bric à brac qui vend de tout et de l'inutile complètement, La Ressource de l'Africain. Il a pour l'aider B et B, le boiteux et le bossu, parce qu'il n'est pas facile d'être Noir dans une Afrique colonisée par des Blancs sans scrupules. En face du magasin, la Reine Mab, une commerçante de rue, qui attend son heure, et prête de l'argent à Victor qui doit payer ce que des camions lui amènent selon les arrivages et des saisies plus ou moins licites.
Un jour, Victor veut savoir ce qu'il y a dans les fûts poussiéreux, B et B en ont la peau décolorée, Lola est éblouie, Mab est à son affaire, on sent le désir chez les villageoises alentour. Mais le contremaître s'empare de cette marchandise qui tue, on le retrouve mort, ainsi que la guenon qui met bas, post mortem, un petit dont Victor devient presque le père, et Lola est la marraine. La grand-mère lui envoie des habits, Lola lui offre un bavoir, et le singe, prénommé Alexis, celui qui n'a pas de mots, est baptisé par Emmanuel, l'envoyé de Dieu, à la virilité débordante mais manquant cruellement d'affection, qui tue un prêtre ivre de désir pour lui, viole une adolescente qui en verra d'autres, et trouve refuge chez la reine Mab. Il est fou, il attend le signe du départ, le signe viendra, Mab ne partira pas avec lui.
Elle acquerra La Ressource, Victor qui s'est attaché au singe comme le contremaître à sa guenon veut le donner à un zoo avant son départ de l'Afrique, mais le zoo n'en veut pas, trop de singes, trop d'alligators, de serpents, abandonnés par les touristes lassés de leurs jouets, et le singe domestiqué ne sait pas qu'il est un singe et ne se reconnaît pas dans les faces hideuses que lui renvoient ses congénères.
Victor veut partir, mais avec Lola qu'il préférait Noire.
C'est un roman d'initiation, avec Victor qui découvre non seulement la vie, mais aussi l'Afrique sous un jour très sombre, pillée, défigurée, dénaturée, par des Blancs qui, pour continuer à vivre, doivent penser profits.
Pour avoir lu d'autres romans de l'auteur, on retrouve le monde des colons, ce magasin extraordinaire qui pousse à faire des folies, la présence du singe, les Noirs qu'on exploite et qu'on méprise. Paule Constant travaille par visions, et quand on la lit, on comprend ce qu'elle veut dire.
Mais ce livre est plus violent . Paule Constant est indignée par ces voyous et ces sots de Blancs et par ces Noirs qui ne savent pas qui suivre. Elle a mal pour et à l'Afrique. Elle nous le crie tout au long de ce court roman sans rien édulcorer et le « happy end » ne nous réjouit pas. L'Afrique deviendra-telle un mouroir pour des êtres désarmés ?
La lecture est haletante et étouffante, mais vraiment, Paule Constant écrit bien. Elle sait qu'elle est un écrivain. Et elle a raison, elle l'est, et sûrement un grand.
Commenter  J’apprécie          30



Ont apprécié cette critique (3)voir plus




{* *}