Avicenne et le récit visionnaire

"car ceux qui attaquent les premiers, apprendront un jour par quel renversement ils seront renversés."

La décision de l’avenir incombe à l’âme, dépend de la manière dont elle se comprend elle-même, de son refus ou de son acceptation d’une nouvelle naissance.

La grande épopée de 'Attâr va marquer un sommet d'expérience mystique. Comme un rappel du Récit avicennien nous y trouvons l'épisode du départ des Oiseaux, la mention des sept vallées qui marquent les degrés de l'ascension céleste, mais ce sont les vallées mystiques de la recherche, du désir, de la connaissance, de l'indépendance, de l'unité, de la stupeur, du dénuement.(...)
Le terme du pèlerinage des Oiseaux est le palais de la Sîmorgh. C'est un oiseau mythique dont le nom figure déjà dans l'Avesta sous la forme Saêna meregha. Dans la littérature persane, il apparaît dans une double tradition: celle de l'épopée héroique, et celle de la poésie et de la prose mystiques.

"Maintenant nous sommes en route, nous marchons en compagnie du Messager du Roi." (...)
Qu'est-ce que marcher en compagnie du Messager du Roi? (...)
"Chaque fois que tu t'esseules de tes compagnons, je fais route avec toi, tu es mon compagnon."
C'est en le suivant, qu'Absâl trouve accès à l'oratoire secret du Roi ( comme dans le Mi'râj-Nâmeh, la pénétration dans les voiles infinis de lumière sous la conduite de l'Archange Michel Esprit-Saint). (...)
Et c'est cela "aller vers l'Orient".

Traduction du Récit de l'Oiseau (Prologue)
"N'y aura-t-il personne parmi mes frères pour me prêter un peu l'oreille, afin que je lui confie une part de mes tristesses? Peut-être pourrait-il partager fraternellement mon fardeau. Car l'amitié d'un ami n'est sans mélange que si, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, il en garde la pureté à l'abri de toute ternissure. (...)
Il existe, il est vrai, des frères qu'unit une même parenté divine, des amis que rassemble le même voisinage d'en-haut; ils contemplent les Vraies Réalités avec le regard de la vision intérieure; ils ont purifié le fond de leur coeur de toutes les souillures du doute. Une telle société de frères, seul le héraut d'une vocation divine la peut rassembler. Le sont-ils?

Pour parfaire le synchronisme des motifs, rappelons qu'au lendemain soir de son rêve, Nerval refuse de se laisser reconduire chez lui; à l'ami qui lui demande où il va, il répond simplement: "Vers l'Orient." Et telle était aussi la direction montrée par Havy ibn Yaqzân..."Aller vers l'orient", c'est pour l'âme être à la trace de pressentiments qui sont ses ressouvenirs; peu à peu en émerge, et avec quelle peine, l'image d'êtres célestes aux générations desquels elle se rattache par-delà toutes les générations de la Terre. La catastrophe de sa naissance terrestre en a aboli les traits de sa mémoire;rien ici-bas ne les lui rappelle, à moins que d'abord l'image ne s'en réveille au fond secret d'elle-même. alors seulement à la lumière de cette Image, lorsqu'elle "se souvient de ses Aions", elle peut dans certaines figures reconnaître certains traits qui fugitivement lui rappellent ceux des êtres qu'elle a laissées dans l' "Orient" d'où elle est venue.

Et maintenant voici: nous sommes en route, nous marchons en compagnie du Messager du Roi.
-Et mes frères d'insister auprès de moi, me demandant de leur faire le récit de la beauté du Roi. Je la décrirai en quelques mots qui résument et suffisent. Voici: quelle que soit la beauté que tu te représentes en ton coeur, sans mélange d'aucune laideur, -quelle que soit la perfection que tu imagines, que ne trouble aucune déficience,- le Roi est celui en qui j'en ai rencontré la possession exhaustive. Car toute beauté, au sens vrai, est réalisée en lui. Par sa beauté, il est tout entier Visage que tu contemples; par sa générosité il est tout entier une Main qui donne. Celui qui l'approche aura trouvé la félicité suprême; celui qui s'en retranche aura perdu ce monde et le monde à venir...

L'Oiseau comme symbole.
De même que le symbole de l'ascension céleste, le symbole de l'Oiseau présente dans la succession des expériences mystiques une récurrence d'une telle fréquence, qu'il faut se limiter ici à rappeler quelques cas essentiels. Bien entendu, c'est chez Platon que nous en trouvons une exemplification des plus développées. Déjà le Récit de Havy ibn Yaqzân, en nous montrant l'âme occupée à gouverner et à compenser l'un par l'autre ses deux redoutables compagnons, nous remémorait le mythe du Phèdre: le char de l'âme attelé de deux chevaux couplés mais non identiques.

Pour quiconque s'intéresse essentiellement et avant tout aux faits spirituels, traductions et commentaires ont toujours une signification attirante, car c'est par là que s'atteste et se vérifie la véritable vie d'un livre: comment il a été vécu par d'autres âmes en qui il dut passer par une nouvelle naissance, répétant la première naissance qui en avait été vécue une première fois par l'auteur.

Changer les apparences des choses, marcher sur les eaux, gravir la montagne de Qâf, cela relève en effet d'événements que Sohravardî mentionne comme ayant lieu dans "l'Orient intermédiaire". Autrement dit, ce sont des événements psychiques dont la scène et l'action ne se situent ni dans le monde sensible ni dans le monde intelligible, mais dans le monde intermédiaire de l'Imaginal, celui qui est appelé " âlam al-mithâl", ou monde du symbole et des typifications, lieu de tous les Récits visionnaires (...) c'est le monde "où se corporalisent les esprits et où se spiritualisent les corps".