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EAN : 9782070724079
602 pages
Gallimard (24/10/1991)
4.5/5   6 notes
Résumé :
À l'intérieur de la communauté islamique, le monde iranien a formé dès l'origine un ensemble dont les caractères et la vocation ne s'élucident que si l'on considère l'univers spirituel iranien comme formant un tout, avant et depuis l'Islam. L'Iran islamique a été par excellence la patrie des plus grands philosophes et mystiques de l'Islam.
Le monument que Henry Corbin présente ici en quatre volumes de sept livres est le résultat de plus de vingt ans de recher... >Voir plus
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Ce que l'on a voulu pricipalement montrer ici, c'est une aptitude caractéristique de ce que certains désigneront comme le génie iranien, d'autres comme la vocation imprescriptible de l'âme iranienne : une aptitude éminemment à édifier un système philosophique du monde, sans que soit jamais perdue de vue la réalisation spirituelle personnelle en laquelle doit fructifier la méditation philsophique, et faute de laquelle la philosophie n'est qu'un jeu stérile de l'esprit. Aptitude, par conséquent, à conjoindre la recherche philosophique et l'expérience mystique ; le refus de les dissocier donne à l'une et à l'autre un caractère si spécifique, qu'il faut déplorer que cette philosophie iranienne, irano-islamique, ait été jusqu'ici absente de nos histoires de la philosophie. Cette absence a appauvri, amputé, notre connaissance de l'homme. Depuis plus d'un millénaire, notamment encore et surtout au cours des quatre derniers siècles, la production des philosophes et spirituels de l'Iran a été considérable. Leurs problèmes recroisent ceux de nos philosophes, mais en y apportant, le plus souvent, des points de vue et des réponses que les vicissitudes des polémiques ont fait tenir à l'écart en Occident. Et pourtant cette voix iranienne est à peine parvenue à se faire entendre hors des frontières de l'Iran, si bien qu'aujourd'hui les Iraniens n'ont pas toujours conscience que leur culture traditionnelle peut recéler un message pour l'humanité actuelle, et voient encore moins comment "actualiser" ce message.
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Le thème de la « chevalerie spirituelle » récapitule en quelque sorte les thèmes développés au cours de la présente recherche. En même temps, les textes qui de part et d'autre en sont l'orchestration, pourraient avoir la vertu de suggérer de futures recherches, dont le souci serait de dégager l'idée d'une élite spirituelle commune aux trois rameaux de la tradition abrahamique, parce que leur éthique prend origine aux mêmes sources et vise la même hauteur d'horizon.

La vocation spirituelle de l'Iran est de nouer le lien entre cette tradition abrahamique qu'il a faite sienne par l'Islam et la tradition zoroastrienne qu'il tient de ses origines. Aussi bien avons-nous vu l'idée de chevalerie spirituelle éclore avec l'éthique zoroastrienne, inspirée par le combat des Fravartis, celles-ci choisissant de descendre en ce monde pour y défendre la création d'Ôhrmazd, de même qu'elles avaient veillé aux hauts remparts du monde de Lumière contre les puissances ahrimaniennes (c'est le combat primordial raconté dans le livre mazdéen de la Genèse, le Bundahishn). Avec Sohrawardî, résurrecteur en Islam iranien et en Iran islamique de la théosophie des anciens Perses, nous avons assisté à la métamorphose de l'épopée héroïque de l'ancienne chevalerie iranienne en épopée mystique des pèlerins de Dieu, dans le soufisme iranien. La continuité est inscrite dans la terminologie, voire jusque dans le terme de « Lumière Espahbod », ancien terme iranien de commanderie et de chevalerie, dont Sohrawardî se sert pour désigner celles des Lumières qui ont la charge de gouverner un corps. Nous avons constaté que l’œuvre de Sohrawardî, rapatriant les Mages hellénisés en un Iran devenu l'Iran islamique, marquait eo ipso l'intégration de l'épopée iranienne à la tradition abrahamique. L'écho s'en prolonge jusque dans les œuvres de ces zoroastriens ishrâqî que nous avons analysées ici.

C'est par une intuition parfaitement juste qu'Eugenio d'Ors, en commentant l'idée avestique de l'Ange et de la Fravarti, entité céleste archétype de chaque créature de lumière, put écrire : « La religion de Zoroastre se traduit en une sorte d'Ordre de chevalerie. » Avec l'épopée sohrawardienne du héros gnostique, de l'exilé à la quête du Graal de Jamshîd et de Kay Khosraw, du chevalier de la foi combattant pour le retour des êtres à leur être vrai (qui est le Graal même), nous avons perçu de profondes résonances avec l'épopée mystique de l'Occident, celle du saint Graal et de ses chevaliers. Et de même que l'idée de la hiérarchie mystique de l' « Ordre » des Ishrâqîyûn nous reconduisait à l'idée de la hiérarchie ésotérique professée dans le shî'isme, de même celle-ci, à maintes reprises, nous a fait entendre certaines résonances avec l'éthique chevaleresque de l'ancien Iran d'une part, et avec l'éthique de la chevalerie d'Occident d'autre part. Il y a un pacte de fidélité conclu pré-existentiellement entre l'Imâm et ses fidèles (il fait partie de la triple attestation donnée en réponse à la question A-lasto? attestation de l'Unique, de la mission du Prophète, de la walâyat des douze Imâms) ; ce que les Fravartis sont pour Ôhrmazd, les shî'ites le sont pour l'Imâm. Il y a un éthos commun, une situation commune aux croyants que rassemble l'idée zoroastrienne du Saoshyant et aux croyants que rassemble l'attente de la parousie de l'Imâm, comme aux croyants dans l'attente du règne du Paraclet. Et ce ne fut pas le moindre enseignement de nos recherches que de constater que nos théosophes shî'ites avaient identifié le XIIe Imâm aussi bien avec le Saoshyant des zoroastriens qu'avec le Paraclet annoncé dans l'Évangile de Jean. (tome IV, 390-391)
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La séance avait été consacrée au leitmotiv de la théologie shî'ite, le thème qui nous a guidé nous-même au cours des chapitres qui précèdent, à savoir le Tawhîd et l'Imâm : comment l'accomplissement du Tawhîd en sa vérité (c'est-à-dire en échappant au double piège du ta'tîl et du tashbîh) n'est-il possible que par l'existence de l'Imâm?

Et nous écoutions, au terme de la soirée, le vénéré shaykh M. H. T., profond connaisseur entre tous de la philosophie de Mollâ Sadrâ, conclure en quelque sorte une méditation à haute voix : « Tous les Noms et Attributs que nous donnons à Dieu, ou plutôt que Dieu se donne à lui-même en se révélant à nous, seule les rend possibles cette figure de l'Imâm éternel qui les cumule en lui-même. Au paroxysme de nos états spirituels, il arrive que ces Noms et Attributs soient absorbés dans l'homme intérieur. L'homme n'est plus lui-même. L'Imâm devient cet homme. Mais Dieu en soi reste inconnaissable et inaccessible. L'Imâm est la réalité vivante, éternelle, splendeur immatérielle cachée, notre lien immatériel avec l'immatériel. Il est cette Face de Dieu dont les versets qorâniques (55 : 26-27) déclarent : Tout ce qui est sur terre va s'anéantissant, tandis que permane la Face de ton Seigneur nimbée de la splendeur, »

Et notre shaykh d'évoquer pour conclure le célèbre épisode final du pèlerinage des Oiseaux dans la grande épopée mystique de Farîdoddîn 'Attar (Mantiq al-Tayr, XIIe siècle), un des chefs d' œuvre de l'épopée mystique en langue persane. Les pèlerins mystiques, les oiseaux, sont partis par milliers ; ils ont voyagé des années et des années, franchissant les sommets et les abîmes. Presque tous disparaissent au cours d'épisodes dramatiques. Seul un petit nombre, trente au total, parvient au but sublime, en présence du mystérieux oiseau Sîmorgh, symbole de la divinité lointaine. Son nom remonte jusqu'à l'Avesta, le Livre saint de la Perse zoroastrienne ; il reparaît dans l'épopée héroïque et mystique de la Perse médiévale (infra livre II), Sous sa forme persane, un jeu de mots subtil mis en œuvre par le génie mystique de 'Attâr, permet de lire son nom Sîmorgh comme Sî-morgh, signifiant trente oiseaux. Au terme de leur longue et douloureuse quête, voici donc que Sîmorgh est alors le miroir révélant aux trente oiseaux survivants le mystère de leur être. Lorsqu'ils tournent leur regard vers Sîmorgh, c'est bien Sîmorgh qu'ils voient. Lorsqu'ils se contemplent eux-mêmes, c'est encore, Sî-morgh, trente oiseaux, qu'ils contemplent. Et lorsqu'ils regardent simultanément des deux côtés, Sîmorgh et Sî-morgh sont une seule et même réalité. Il y a bien là deux fois Sîmorgh, et pourtant Sîmorgh est unique. Identité dans la différence, différence dans l'identité. « Le regard par lequel je Le connais, est le regard même par lequel Il me connaît », disait de son côté Maître Eckhart.

Au terme des vers célèbres de 'Attâr, je demandai au shaykh : « L'Imâm, c'est bien cela, n'est-ce pas ? — Certes, c'est cela. Et s'il n'y avait pas l'Imâm, si cela n'était pas l'Imâm, alors il ne resterait qu'à sombrer dans l'ivresse mystique, trouvant son expression dans la célèbre exclamation du soufi al-Hallâj : « Anâ'l-Haqq! Je suis Dieu »... (tome I, pp. 327-329)
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Les Douze Imâms, avec le Prophète et Fâtima sa fille (Fâtima al-Zahrâ, « à la beauté éclatante », « qui a l'éclat des fleurs »), origine de la lignée imâmique, forment le plérôme des « Quatorze Immaculés » (en persan Chahârdeh Ma'sûm), dont les manifestations, les théophanies, se produisent aux différents plans d'univers (lâhût, jabarût, malakût, nâsût, cf. infra chap. v). Sans pouvoir y insister ici pour le moment (car il y aura lieu d'approfondir la recherche comparative), on n'omettra pas cependant de signaler l'analogie de leur groupe avec les groupes de Douze et de Quatorze bien connus dans les textes gnostiques de langue copte. L'Apocalypse d'Adam connaît Quatorze Aiôns de lumière, formes d'apparition de l'Illuminateur (en terminologie shî'ite nous dirions : mazâhir de la Haqîqat mohammadîya). La gnose manichéenne s'attache à interpréter une prière de Seth, fils d'Adam, adressée aux « Quatorze grands Aiôns de lumière » (or Seth, comme « Imâm d'Adam », est une ligure de premier plan dans la gnose shî'ite); elle s'attache à interpréter les « Quatorze vaisseaux » sur lesquels navigua Jésus pour descendre en ce monde.

Non moins frappante est l'analogie entre le Douzième Imâm (le Quatorzième des Immaculés) et le Quatorzième des Aiôns de lumière. L'Apocalypse d'Adam encore parle du Quatorzième comme de l'allogène, l'étranger : un jeune garçon né de manière mystérieuse, enlevé en un lieu inacessible, où il est éduqué et nourri. Le Douzième Imâm, Mohammad al-Qâ'im (le Résurrecteur) ou al-Mahdî (le Guidé), né de façon mystérieuse, disparaît encore tout enfant, le jour même où quitte ce monde son jeune père, l'lmâm Hasan. 'Askarî (en 260/873, cf. infra livre VII). Nous entendrons le prophète Mohammad s'exprimer à son égard comme le prophète Zarathoustra à l'égard du Sauveur-Saoshyant : « Je suis en lui et il est en moi. »

Le Douzième Imâm (Quatorzième des Immaculés) est l'Imâm caché de notre temps ; il réside en un monde suprasensible, invisible aux humains, jusqu'à son Apparaître futur, sa parousie finale qui clôturera le présent cycle de notre monde. Le temps que nous vivons présentement, est le temps de son « occultation », le temps de la ghaybat. Comme Imâm attendu (Imâm montazar) il a été identifié par maints auteurs shî'ites, entre autres par Haydar Amolî, avec le Paraclet annoncé par Jésus dans l'Evangile de Jean. Il y aura lieu d'y revenir ici même, car cette inspiration paraclétique de l'Islam shî'ite, comme témoin de la religion prophétique éternelle, pose une question capitale à la « théologie générale des religions » que l'avenir verra peut-être éclore. Parce que la figure du XIIe Imâm polarise la dévotion du shî'isme duodécimain, nous lui consacrerons spécialement le livre final du présent ouvrage. Mais pour la même raison, il était impossible de nous engager plus avant, sans en faire mention dès maintenant. (tome I, pp. 55-56)
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« Pour tout ce dont je fais état concernant la connaissance des pures Lumières (ou des êtres de Lumière), écrit Sohrawardî, comme pour tout ce qui repose sur cette connaissance aussi bien que pour le reste, j’ai pour soutiens tous ceux qui ont cheminé sur le chemin de Dieu. Cette haute connaissance, ce fut en effet l’expérience intime (dhawq) de Platon, l’Imâm et chef de file de la sagesse, homme doué d’une grande force et de la lumière intérieure. Ainsi en avait-il été déjà bien avant lui, depuis Hermès, le père des Sages, jusqu’à Platon lui-même, pour d’autres philosophes éminents, piliers de la sagesse théosophique, tels qu’Empédocle, Pythagore et d’autres encore.

Or, les doctrines de ces anciens Sages se présentaient sous le chiffre des symboles ; aussi n’y a-t-il pas de réfutation contre eux. Même lorsque l’on prétend argumenter contre l’apparence exotérique (zâhir) de leurs doctrines, on ne rencontre nullement ainsi leurs intentions véritables, car on ne réfute pas les symboles.

Or, c’est précisément sur le symbole qu’était fondée la doctrine orientale de base, celle concernant la Lumière et les Ténèbres, doctrine qui constitue l’enseignement propre aux Sages de l’ancienne Perse, tels que Jâmâsp, Frashaoshtra, Bozorgmehr et d’autres encore avant eux. Ce n’était pas la doctrine sur laquelle se fonde l’impiété des Mages dualistes (Majûs) ni la déviation de Mânî. » (tome II, pp. 51-52)
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