Undisclosed desires, tome 2

Incapable d’en supporter davantage, et plus que tout désireux de m’isoler pour ne pas m’effondrer devant lui, je le contourne en prenant soin de ne pas le toucher, puis marche d’un pas vif en direction de la berge.

Notre histoire est terminée. Je fuis cette jetée de béton qui brave les flots en y abandonnant l’homme que j’aime plus que ma propre vie.

À la lumière de ces réflexions, toute trace de rancœur et de déception à l’égard de mon copain m’a déserté. Mon père a raison, je n’ai pas été clair. C’est pourquoi j’ai décidé d’en profiter en faisant machine arrière avec Flo. Dorénavant, je prétendrai, comme il l’a imaginé, que je l’ai bel et bien trompé. Cela me paraît indigne, certes, mais toujours moins que ce qui m’est véritablement arrivé.
À présent, il ne me reste plus qu’à supporter ma culpabilité ainsi que la brûlure de cette putain de blessure.
Depuis ce qui s’est passé en sport, je me sens mutilé, comme si une partie de mon être m’avait été arrachée et que je percevais encore la présence de Charles en moi.

— Transformer ta tristesse en colère n’est pas la bonne solution, mon chéri. Et puis, tu ne peux pas passer ta frustration sur les autres, ils ne sont pas responsables de tes malheurs !
Je grince des dents, mais au fond, elle a raison. Depuis le début, je contourne ma peine en empruntant le seul chemin qui me permet de garder le contrôle. De me sentir un homme. Car je refuse de déprimer et de me morfondre. Pourtant, me battre n’arrangera rien, évidemment !
— Tu fais quoi, là, au juste ? Ne me dis pas que tu as l’intention de partir pour Marseille ? reprend ma mère quand elle remarque enfin mon sac ouvert.
— Il faut que je le voie. Il m’a laissé avec trop de questions en suspens, et aujourd’hui, j’ai besoin de réponses.

Ce soir, je pourrai respirer l’odeur de sa peau et le toucher.
Ce soir, je pourrai apaiser mon mal de lui par sa seule présence.
En revanche, je sais que je vais le blesser tôt ou tard. Et je n’aime pas cette certitude qui plane au-dessus de moi comme l’ombre d’un vautour sur un animal à l’agonie. Mais depuis ce qui s’est passé avec Charles, j’ai l’impression qu’on m’a volé mon statut d’homme. Mon statut d’être humain. Une part de moi est morte à jamais, ce type me l’a dérobée et je ne pourrai plus la récupérer, quoi que je fasse.
J’ai également l’impression qu’il a placé une grenade dans mon cœur, qui attend patiemment le moment où elle pourra exploser.
Jour après jour, je continue d’enterrer mon passé. Malheureusement, celui-ci n’a pas du tout envie d’être oublié. Au contraire, il lutte farouchement pour sa survie. Les cauchemars se poursuivent, les flashs ne cessent d’apparaître en plein milieu de la journée.
Cependant, si je suis dans un tel état d’esprit ce soir, c’est en grande partie à cause de la lecture du journal de ma mère.

Peu de temps après le dépôt de plainte de Vince, quand Charles a été convoqué chez les flics et que les rumeurs ont commencé à se répandre, la situation est devenue très compliquée pour moi. Dans un premier temps, parce que je voyais cette raclure tous les jours et que je devais museler mes envies de meurtre, lutter chaque fois que je croisais ce type dans les couloirs ou dans le coin fumeurs pour ne pas me jeter sur lui. Dans un second temps, parce que je subissais une pression qui m’était jusqu’alors inconnue : pour la première fois de ma vie, j’ai compris ce que pouvait ressentir un élève victime de harcèlement scolaire. J’entendais les autres lycéens parler sur moi, sur Vince, les regards ne me lâchaient pas, parfois on me balançait des insultes en face, mais la plupart du temps, on les crachait dans mon dos, assez fort pour que les mots me parviennent, sans toutefois avoir le cran de venir me les vomir au visage. Et surtout, on tenait des propos affreux à l’encontre de mon copain. C’est grâce à ma mère et à mes amis que j’ai tenu le coup au lycée et que j’ai pu supporter les interrogatoires auxquels j’ai été convoqué. La partie la plus éprouvante, sans aucun doute. On m’a posé des tas de questions horribles, du genre si Vince n’était pas un peu mytho, manipulateur, s’il aimait attirer l’attention sur lui, en sous-entendant que comme il a perdu sa mère gamin, il manquait sûrement de reconnaissance. Et puis, il avait quand même posé pour une publicité ! Conneries.