AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur Les derniers soldats du roi (12)

L’attentat contre le dictateur allemand, de la part de ses propres généraux, nous fit croire à la fin de la guerre. Hitler ne fut pas tué, mais les soldats allemands - non pas considérés dans l'abstrait : ceux qui étaient déployés sur les collines, là, devant nous, et tous ceux, pris un par un, qui se battaient sur d’autres fronts - allaient ils encore se faire tuer, maintenant que l'inutilité en était à tel point évidente ?

Il était horrifîant de penser que tant de courage et une aussi extraordinaire fidélité continuaient à être aussi obstinément gaspillés de cette façon ; un gaspillage de nature - je le redoutais à nous amoindrir tous...
Commenter  J’apprécie          420
Nous reconnûmes les Alpins de loin à leur chapeau à plume d'aigle, et à la disposition insolite de leurs détachements compacts ; et de près au grand nombre de barbes, ainsi qu'à l'allure de ceux d'entre eux qui, sortis de leur formation compacte (c'était tout de même des Italiens), baguenaudaient ça et là au soleil de leur pas indolent et fier.
Nous les saluâmes avec une espèce d'exaltation (la même qui m'aiguillonne encore aujourd'hui à leur souvenir) parce que si, avec certaines divisions ordinaires, nous autres Italiens avons aligné les troupes les moins efficaces peut-être de toutes celles qui ont fait la guerre, nous savions du moins qu'avec les divisions alpines nous avions aligné les meilleures de toutes. (Miroir, là aussi, de l'humanité tout entière, qualités et défauts...) Il me revenait à l'esprit la retraite en Russie, encore si proche, les encerclements dans le climat polaire, au cours desquels les Allemands nous avaient ouvert le chemin, à nous les Italiens des divisions ordinaires. Mais pas aux Alpins : dans leur poche, c'est l'inverse qui s'était produit : c'étaient en effet nos montagnards qui, jour après jour, avaient ouvert le chemin aux autres troupes encerclées avec eux. Allemands compris. A travers les brèches ouvertes par la division Tridentina s'étaient glissées les troupes ordinaires italiennes, les maigres restes d'un corps d'armée allemand, et peut-être dix mille Hongrois, de sorte qu'à la fin tous arrivèrent à se sauver. Sans appui de l'aviation, sans appui de chars d'assaut ni d'autres véhicules, uniquement grâce au courage incomparable de ces hommes au cœur simple.

C'est donc tout cela que je repassais dans mon esprit lorsque, à Barbara, nous rencontrâmes les Alpins.
Commenter  J’apprécie          410
Tout de même, quelle belle ville, Pérouse!

Dans les églises médiévales gisaient les guerriers, la tête reposant sur un coussin de pierre, les mains sur la poitrine, refermées sur la garde de leur lourde épée, semblable à une croix. Leur visage est de pierre, ainsi que leur corps, leur cotte de mailles et les autres habits ; de pierre la hache pendue à leur flanc, si redoutée dans les combats et les duels. Mais la légende dit que leur cœur n'est pas de pierre, et qu'enserré dans son étau de pierre, il est condamné à souffrir aussi longtemps que dureront les factions en quoi les premiers ils ont divisé notre peuple.
Commenter  J’apprécie          400
Le 17 arrivèrent pour nous relever des détachements polonais de la Cinquième division Kresowa, reconnaissables à leur insigne, la sirène brandissant une épée. Vu que les parachutistes, comme d'habitude, n'avaient pas assez de camions pour le transport, les Polonais en déchargèrent plusieurs des leurs, et les mirent à leur disposition dans un esprit de fraternité.

Nous savions qu'à ce moment-là ils étaient angoissés par une nouvelle tragédie inhumaine qui se déroulait à Varsovie. En effet, quand à la fin de juillet les Soviétiques étaient arrivés aux faubourgs est de la ville, l'armée des partisans polonais, qu'ils avaient plusieurs fois appelée à l'insurrection, s'était insurgée. Alors les Soviétiques s'étaient arrêtés, et maintenant ils attendaient sans bouger que les insurgés - qui étaient férocement anti-allemands, mais certainement pas communistes - soient anéantis jusqu'au dernier par les Allemands. (Pour la seconde fois, et d'une manière encore plus sanglante que la première, communistes et nazis - bien qu'ennemis mortels - se trouvaient d'accord pour écraser la Pologne, c'est-à-dire un peuple résolu à ne pas perdre sa liberté.) Depuis plusieurs semaines on se battait dans la ville avec un désespoir silencieux. Au début, l'aviation anglaise et celle des Américains avaient lancé des munitions aux insurgés, puis les vols avaient cessé parce que l'état-major soviétique avait interdit aux avions de faire escale à l'intérieur de ses lignes. Maintenante les aviateurs polonais continuaient tout seuls essayant de voler sans escale. Bien souvent ils n'y arrivaient pas : on disait que pour cette raison l'état-major leur interdisait rigoureusement de partir mais que les Polonais refusaient de se plier à cette interdiction.

Ils continuaient donc à partir, les pilotes polonais : une fois en l'air, nul ne savait s'ils volaient le visage durci, ou s'ils pleuraient silencieusement, ou s'ils criaient leur désespoir dans le grondement des quadrimoteurs. Il devait en être de leurs avions comme des oiseaux qui volettent désespérément autour de leur nid assailli par des prédateurs tellement plus forts qu'eux : à la fin ils ne se soutiennent plus en l'air et vont s'abattre au sol, et leur irrépressible douleur cesse brutalement avec leur vie sans mémoire. En quelques semaines, toute l"aviation lourde polonaise allait tomber de cette façon ; à la fin, nous apprendrions qu'il n'existait plus d’aviation lourde polonaise. Les insurgés, après soixante jours de lutte, furent exterminés, le reste de la population déporté, Varsovie rasée sur quatre-vingt-cinq pour cent de sa superficie.

Au cours de la guerre, les hommes commirent bien des actes dont n'importe quelle espèce de bêtes aurait honte; d'autres furent plus sanglants, mais aucun, je crois, ne fut plus honteux que celui-ci.
Commenter  J’apprécie          343
Du reste nous devons nous rappeler que bien longtemps avant, les Grecs de l'Antiquité eux aussi avaient vécu en démocratie : d'ailleurs le mot vient justement de chez eux, c'est un mot grec.

Une fois de plus il me sembla entrevoir dans les yeux de certains d’entre eux (comme au cours de nos conversations au Musone) l'espoir que l'on pourrait trouver à la fin le moyen de sortir des malheurs écrasants de notre temps.

— Mais pourquoi est-ce que par la suite la démocratie a disparu en Italie ? voulut savoir Leonardo.

— Parce qu'il y avait eu - exactement comme chez les Grecs en son temps - une dégradation des mœurs, et que peu à peu les gens n'ont plus été disposés à renoncer en partie à leur point de vue pour faire de la place à celui des autres. La situation qui en est venue à se créer au quatorzième siècle, Dante l’a bien décrite : en pratique, pour en finir avec les luttes et les abus continuels, il était devenu indispensable que quelqu'un impose l'ordre par la force. C'est comme ça qu'un peu partout se sont constituées les seigneureries et les principautés et que la democratie a disparu.
Commenter  J’apprécie          300
Tandis qu'il parlait, je pensais que personne n'entendrait plus Francescoli chanter la chanson triste de la robe emplie de vent. Et qui bientôt, se souviendrait de son amie au front blanc, tuée à Turin ? Dans un certain nombre d'années, personne sur terre ne se souviendrait plus de ces deux-là… Que toute leur réalité dût aboutir au néant, cela ne pouvait être, et ce ne serait pas. Mais que leur aventure terrestre dût se conclure de cette façon, c'était désormais certain, et néanmoins insupportable…
Pendant ce temps sa mère, qui n'avait que lui, continuait probablement à garder prêt son lit et ses autres affaires… Peut-être en serait-il ainsi également de la mienne.
Commenter  J’apprécie          50
Ils moururent tous deux avant la tombée de la nuit. Mort, ce pauvre Jésus d'aumônier, avec sa mère qui l'attendait dans la campagne de Mantoue, scandant les heures interminables sur son chapelet. Il avait fini de se battre à sa manière têtue, la main dans la main du Seigneur, contre les autres et contre sa propre jeunesse. Plus jamais maintenant les femmes de Mantoue ne le tourmenteraient au confessionnal, parce qu'il était beau et fort ; il ne s'en plaindrait plus auprès de nous qui étions ses amis. Des choses dont un prêtre ne parle pas facilement, même au front.
Commenter  J’apprécie          30
Adieu maintenant Filottrano ; et adieu à toi aussi, cœur de notre jeunesse. Le temps passant, qui sait combien d'événements ont dû se succéder là-bas, et, bien sûr, au long des années de débat politique, le jugement porté sur notre action aura plus d'une fois changé (les rengaines habituelles pour ou contre l'armée...) Par la suite, et c'est bien naturel, les gens nous auront complètement oubliés. Seul le cœur de nos morts, là-bas, s'est arrêté à l'heure de leur jeunesse.
Commenter  J’apprécie          30
Nous nous accordâmes une trêve d'à peine une demi-heure, puis nous entreprîmes la descente. Nous étions en terre des Abruzzes : sans être capables de dire en quoi, nous sentions que le milieu avait changé.
C'était peut-être en raison du spectacle différent que nous offraient ces petits villages nichés dans la vallée, qui n'étaient pas semblables à ceux que nous avions rencontrés jusqu'alors, mais pleins d'intimité au long de leurs rues silencieuses. Lorsque vers la fin de la descente nous rencontrâmes pour la première fois des gens, nous fûmes surpris par la différence du parler, des traits, et encore plus de la mentalité des gens, à si faible distance du Latium.
Nous atteignîmes le fond de la vallée à midi passé. Dans les champs, une jeune fille chantait d'une voix harmonieuse une longue cantilène : la mélodie se répandait au-delà des rideaux d'arbres et des cultures, et se perdait dans la réverbération du soleil sur les chaumes, absorbée par le concert monotone des cigales.
Arrivés près de la source – invisible à nos yeux – de ce chant, nous nous arrêtâmes sur le sentier pour écouter, et je repensais aux fenêtres grandes ouvertes de ma maison, et à leurs appuis de pierre d'où, les jours de soleil, se déversait le chant de mes sœurs qui s'affairaient : éclatant, celui d'Angela, très doux, celui de Pina. Peut-être maintenant les fenêtres étaient-elles closes et leurs rebords sans joie. Lorsque la belle chanson s'éteignit et que le chœur envieux des cigales redoubla, nous nous dirigeâmes vers la ferme la plus proche ; elle était petite, avec un porche de bois, précédée par quelques amandiers. «L'hôte est l'envoyé de Jupiter», disait-on dans l'Antiquité, et de même le christianisme prescrit d' «héberger les pèlerins». Ces maximes sont profondément enracinées dans l'esprit des Abruzzais : nous fûmes accueillis comme des envoyés de Dieu ; d'ailleurs qui aurait pu dire si nous ne l'étions pas ?
L'un des fils de la maison – ils étaient deux, tous deux rentrés depuis quelques jours – se lança à la poursuite de l'unique coq du modeste poulailler, et le tua en lui lançant un bâton, puis il le prépara rapidement pour le faire cuire. La mère, interrompant toute autre occupation, se mit à pétrir une mesure de farine, et c'était un spectacle appétissant que celui de la pâte fine, entre les mains actives de la paysanne.
Il y avait aussi le père, un homme aux bras velus, qui nous invita à nous assoir en face de lui sur des escabeaux de bois. Il nous parla gravement :
– Ne soyez pas découragés, jeunes gens, nous dit-il à peu près, par la situation d'aujourd'hui. Ne soyez pas de ceux qui disent «Pour nous autres Italiens, maintenant c'est fini». Je ne connais l'histoire que par ce que j'entends dans les sermons à l'église, mais je sais que notre peuple a éprouvé au cours du temps toutes sortes de choses, et qu'il a toujours surmonté ses épreuves. Nous ne devons donc pas nous laisser abattre par le découragement qui menace également le paysan, alors qu'il est écrasé de dettes, et que l'année est mauvaise. Alors il lui vient l'envie d'abandonner le champ que son père lui a légué. Mais s'il persiste et tient bon, en homme, alors reviennent des jours meilleurs. Moi qui vous parle, j'en ai fait l'expérience.
Et après que, frappés par sa sagesse, nous eûmes approuvé :
– Comment pourrions-nous supposer que nous sommes finis, s'exclama-t-il, les mains sur les genoux, la tête en avant, nous regardant droit dans les yeux, si chacun de nous sent quant à lui son cœur plein de force ?
Après lui, parlèrent ses deux fils ; avec fougue, ils nous firent part de leurs expériences de voyages :
– Prenez le train, dirent-ils, n'ayez pas peur. Les Allemands ne font de rafles que dans les grandes gares, pas dans les gares secondaires.
L'un d'eux raconta :
– Je viens de Trieste. Là-haut, les Allemands ont fait prisonniers tous les officiers et aussi beaucoup de soldats, et ils sont en train de les déporter en Allemagne. Mais sur le Pô, ils creusent en toute hâte des tranchées : cela veut dire, je crois, que les Anglais atteindront bientôt le Pô.
Le père dit encore :
– Vous resterez vous reposer dans la maison autant de jours que vous voudrez.
Peu après, la mère nous appela à table et posa devant nous le plat fumant. Elle parla la dernière, tandis que nous mangions, assise sur son escabeau contre le mur, sous les images pieuses : avec une délicatesse instinctive, elle ne parla que de choses de tous les jours, sans grandes importance, qui ne nous feraient pas penser à notre situation. Le réconfort que nous recevions d'elle ressemblait à l'odeur du pain.
Après le repas, nous nous étendîmes pour dormir dans un «pailler» aéré où les fils du paysan avaient coutume de se reposer aux heures de trop grand soleil.
Je me demandais pourquoi, à l'école, personne ne nous avait parlé de ces endroits, de l'existence de telles gens. À ce qu'il paraissait, le monde classique, homérique – que nous rencontrions dans les livres et croyions évanoui depuis des millénaires – en réalité n'avait pas encore disparu, pas entièrement du moins… Cette découverte que je commençais à faire allait rester l'une des plus belles de toute ma vie.
– Nous commandions des soldats comme ceux-ci, et vois à quoi nous en sommes réduits, dis-je à Antonio, avant que nous nous assoupissions.
– En tous cas, il n'est pas concevable que des gens pareils contribuent à la victoire du nazisme, observa-t-il.
– Dans quoi nous nous sommes laissé entraîner ! murmurai-je.
Commenter  J’apprécie          30
Nous descendîmes du train au petit matin, au pied de l'énorme massif clair de la Maiella, que le train avait contourné aux premières lueurs de l'aube.
Tout alentour se trouvaient de grandes collines couvertes de chaumes d'or lumineux ; nous entreprîmes aussitôt de les remonter jusqu'au village de Pretoro, souhaitant intérieurement y trouver mon compagnon d'armes Virgilio De Marinis, à qui nous avions l'intention de demander l'hospitalité.
Sur les épaulements que nous parcourions lentement, croissaient bon nombre d'oliviers, et leurs vieux rameaux diffusaient une paisible sérénité dans laquelle nous baignions en marchant. Les événements de la nuit précédente semblaient déjà bien loin. Soudain, du sommet d'un coteau, nous aperçûmes au loin un ruban de mer:
– L'Adriatique ! regarde, nous sommes en vue de l'Adriatique ! disions-nous en nous la montrant.
C'est justement au bord de cette mer, à Riccione, que j'avais marché en compagnie de Margherita… En ce moment même aussi – commençai-je à rêver – Margherita marchait à nos côtés… oui, certainement, et le bleu ciel du bleuet qui là, un peu plus loin, avait échappé à la faux, me faisait imaginer ses pieds dans les chaumes… Peu à peu j'en vins à me représenter la jeune fille avec une telle force, qu'il me semblait presque qu'elle était vraiment là. Je saluai à nouveau avec joie sa tête juvénile, ses beaux cheveux bouclés, uniques au monde, me disais-je, ses yeux gris profonds.
Antonio restait silencieux, pénétré de la paix qui émanait du lieu. Dans le secret de mon cœur je conversais avec Margherita, et je lui adressais des phrases de poète courtois. Je l'appelais «tête d'alouette» et, aimablement plaisant, «nouvelle Mélisande»… (Cette heure aussi, comme toutes les autres de la vie, est passée, s'en est allée pour toujours. Jeunesse, amour de l'amour, collines tapissées d'or des Abruzzes enchanteresses d'alors, tête d'alouette de Margherita… que vous êtes loin, aujourd'hui, de moi qui me souviens !)
Commenter  J’apprécie          20






    Lecteurs (16) Voir plus



    Quiz Voir plus

    C'est la guerre !

    Complétez le titre de cette pièce de Jean Giraudoux : La Guerre ... n'aura pas lieu

    de Corée
    de Troie
    des sexes
    des mondes

    8 questions
    1126 lecteurs ont répondu
    Thèmes : guerre , batailles , armeeCréer un quiz sur ce livre

    {* *}