C’était le problème avec la violence : quand on la cherchait, on la trouvait, mais elle vous prenait aussi souvent au dépourvu, Elle n’attendait pas que vous soyez prêt pour vous sauter à la gueule et saloper vos jolies godasses neuves. Et, à force de la provoquer, on finissait par se rendre compte qu’on ne serait jamais prêt.
Fais gaffe, à force de regarder le monde de haut, tu vas finir bossu !
Peut-être c’est pour ça qu’on est encore vivants. Pour finir cette mission.
.
DEBUT(S) DE LA COLERE
" Ike se mit à crier. Un cri qui n’enfla pas dans sa poitrine avant de jaillir de sa bouche, mais qui sortit sans prévenir sous la forme d’un long hurlement sauvage. Le sac de frappe se retrouva secoué de spasmes : Ike avait abandonné la technique pour un instinct purement animal. Ses phalanges en sang laissaient sur le cuir des taches écarlates qui faisaient penser à un test de Rorschach. Des gouttes de sueur dégoulinaient de son front pour tomber dans ses yeux, et des larmes dégoulinaient de ses yeux pour rouler sur ses joues. Des larmes pour son fils. Pour sa femme. Pour cette petite fille qu’ils allaient devoir élever. Pour ce qu’ils étaient et pour ce qu’ils avaient perdu. Et chaque larme lui faisait l’effet d’une lame de rasoir lui lacérant le visage. "
.
Le premier golgoth était doté d'une moustache noire si épaisse qu'on aurait dit qu'un chat avait élu domicile sur sa lèvre. Quant au second, il avait un strabisme qui devait lui permettre de vérifier les priorités à droite sans tourner la tête.
Dès l'instant ou un animal perçoit que vous avez peur, il perd tout respect pour vous. Et s'il ne vous respecte plus, plus rien ne le retient de vous ouvrir le ventre pour vous montrer à quoi ressemblent vos intestins. Or l'homme est le plus cruel de tous les animaux. Surtout quand il sait qu'il a l'avantage du nombre.
Il avait aussi appris à contrôler ses nerfs. En prison, la communication non violente était un concept totalement inconnu : il fallait frapper le premier, et frapper fort. À défaut, on se retrouvait à laver les sous-vêtements souillés de son compagnon de cellule. La première fois que quelqu’un lui avait grillé la priorité après sa libération, ça n’avait pas été facile. Il avait dû faire preuve d’un sang-froid inimaginable pour ne pas rattraper l’imprudent, le traîner hors de sa voiture et lui fracasser la tête contre le bord du trottoir.
Buddy Lee n’avait rien compris. Ike n’avait pas peur de se salir les mains, ni de faire couler le sang. Sa seule crainte, c’était de ne pas réussir à s’arrêter.
On a tendance à voir la vengeance comme quelque chose de noble, de légitime, mais en vérité, c'est juste de la haine déguisée. (P.354)
Quand on était noir au pays de la liberté, la moindre interaction avec un représentant des forces de l’ordre avait quelque chose de terrifiant. On avait l’impression de marcher en permanence le long d’un dangereux précipice. Et si en plus on avait le malheur d’avoir un casier judiciaire, c’était comme si ce précipice était bordé de peaux de banane
" (…) Ils cherchaient un ami à eux. Je te laisse trois essais pour deviner qui était l'ami en question et les deux premiers ne comptent pas.
- La vache, marmonna Buddy Lee après avoir lâché un long sifflement. Le gamin qu'on a transformé en compost…
- Bingo." (P.157)