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Critique de Paulette2


S.A. Cosby, « l'héritier du thriller américain » ? À n'en pas douter !
Le Sang des innocents est en effet un très grand polar. Il en a tous les ingrédients : action, suspense, effroi, émotions multiples, psychopathe très très méchant. Mais c'est la générosité et la puissance avec lesquelles ils nous sont offerts qui m'a marquée : avec lui, le lecteur part très loin, très fort et, détail notable, n'est pas déçu par le dévoilement final. Quand on ouvre ce livre, on veut juste suivre les pas de Titus Crown, ancien du FBI devenu shérif de sa petite ville de Virginie, on veut l'aider à résoudre une enquête compliquée. Tout le reste n'a plus aucune importance.
Déjà, l'auteur est très fort dans les scènes d'action, si difficiles à maîtriser. La tuerie au Lycée comme la grande Foire d'automne, aux deux extrémités du récit, sont emportées dans un souffle narratif puissant et confiant. J'y ai retrouvé l'élégance des grands romanciers sudistes que j'aime, Robert Penn Warren, Flannery O'Connor, Carson McCullers… On a l'impression de les connaître, ces habitants de Charon, leurs petites habitudes nous sont familières, on aime leurs plats traditionnels et on prend goût à leurs bagarres. On en ressent aussi le malaise profond, mélange de racisme et de l' « hypocrisie du christianisme », qui rend impossible l'entente entre Noirs et Blancs. La série de crimes abominables qui va être commise par le «Dernier Loup » peut ainsi être lue comme une punition pour toutes les fautes passées de Charon, pour la douleur de l'esclavage et la cruauté d'un passé jamais expurgé.

Car la force de roman réside aussi dans son double fond religieux : la Bible est partout, elle s'inscrit jusque dans la chair des victimes et dans le titre, elle se lit dans la culpabilité des personnages, parmi les prêtres trop nombreux et leurs fidèles plus ou moins fanatiques. Titus, lui, a cessé de croire, il a cassé la « relation abusive » qui le liait à la foi. Comment peut-on continuer à prier quand l'horreur s'abat sur une ville ? Quand notre maman, notre fils, nous est arraché trop tôt ? Les meurtres ne sont pas qu'un des attributs obligés du polar, ils deviennent l'occasion d'un questionnement douloureux sur le Mal et la difficulté de s'en libérer. L'atmosphère est lourde, comme l'air de l'église en fin de messe, chargé de sueur et d'encens. Elle nous poursuit longtemps.

Et puis il y a Titus Crown, dont la personnalité complexe sert le suspense dans un mélange de nonchalance et d'efficacité. Toutes les facettes de sa personnalité et de son passé créent du conflit : ancien du FBI, il vit comme une déchéance son retour pour soigner son père malade et pourtant, les connaissances qu'il y a accumulées sur les tueurs en série vont éclairer l'enquête. Homme de couleur, il est lâché par sa communauté et devient la cible des blancs suprémacistes. Idéaliste, il est animé d'un idéal d'ordre et de justice mis à mal par l'ambiguïté du monde. Shérif, il doit régler les tâches administratives et les menus délits alors qu'un psychopathe terrorise la ville entière. La menace du tueur brasse les cartes, oppose l'ordre au désordre, la justice à l'arbitraire, le futur au passé, la vertu au péché. C'est dans le personnage de Titus que convergent tous ces conflits, comme si toute la pression du roman, qui monte au fur et à mesure de l'enquête, venait converger en lui. Cela rend éminemment attachant cet « homme condamné à passer l'éternité à courir après les désastres sans pouvoir les empêcher ». On s'y attache comme à une bouée qu'on a envie de consoler.

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices Elle 2024
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