"Par rapport à autrui, j’ai à faire". La révolte, je ne sais pas la mener. Le chagrin m’envahit. Je le pense insuffisant, agaçant, inquiétant même, s’il n’est accompagné de mise en question et de travail - tout modeste que soit ce travail. C’est en mon temps et en mon nom que des milliers de migrants d’Asie et d’Afrique sont enfermés dans les prisons modernes de l’Europe - et chaque semaine une vingtaine, ou davantage, à quelques kilomètres de "chez moi", c’est-à-dire "ici", à l’endroit où par le plus grand des hasards il m’est arrivé de naître, enchaînée à une histoire et à l’Histoire.
Je sais que je dois, au fur et à mesure des audiences, éviter de m’habituer. Il est facile de se protéger ; malgré soi on résiste à l’émotion. On adopte, sans la décider, contre l’émotion, une sorte de fermeté. Le témoignage serait une forme supportable d’action, de réaction. Je me mets en garde. Ce n’est pas suffisant. Je me mets. Ce n’est pas suffisant. Je me mets en garde au fur et à mesure des audiences. De semaine en semaine, ne pas s’habituer