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Critique de afriqueah



Moi, Seyoum, je suis un passeur.
Passeur de vie à trépas, pourvu que ces désespérés paient, et ils paient cher leur passage, depuis la Somalie ou l'Erythrée, après une traversée du Sahara ( où il en meurt un tiers, c'est ça de moins à gérer)pour arriver sur les côtes de Libye, et tenter Lampedusa.
Moi je suis le caïd, et mon fond de commerce, c'est le désespoir ou plutôt l'espoir , le rêve imbécile qui les fait ramper devant tout.
J'ai à dos les gardes côtes, qui se sucrent tant qu'ils peuvent et doivent jouer au plus fin avec les ONG. Tout le monde sait bien que la côte est une passoire. J'ai à dos les autres mafieux qui de plus en plus veulent goûter au plus juteux de tous les trafics, celui des êtres humains, plus juteux que les armes , plus juteux que la drogue, c'est dire.

J'ai mes sbires, qui m'obéissent comme des chiens, et à qui je donne l'ordre de fouetter de temps en temps la marchandise massée dans l'entrepôt, elle attend le passage, cette masse de marchandise, or il ne faudrait pas, en plus, qu'ils trouvent leur sort injuste, ou que l'on devrait les nourrir, par exemple.
Bref, ils attendent le passage, sauf que cela devient compliqué de trouver des rafiots qui font de toute façon un voyage unique Lybie/Italie. Et qui en pleine mer, on le sait, couleront. C'est là qu'ils commencent tous à m'emmerder, il y a trop de naufrages, disent-ils, sauf que trouver des bouts de bois pour réparer des fonds de vieux bateaux, il faut s'y mettre sec , car marché noir et manque de matériel.

Retour en arrière, après la guerre d'indépendance entre l'Ethiopie et l'Erythrée, s'est instauré dans ce dernier pays devenu indépendant une des pires dictature qui soit : service militaire obligatoire et à temps indéterminé, pour tous (TOUS et TOUTES), période qui relevait plus de la torture organisée (par exemple au camp de rétention de Sawa, violences inouïes, tortures et viols) que de la préparation militaire devenue inutile d'ailleurs, puisque l'indépendance était gagnée. Un des pays les plus pauvres du monde, et qui se retrouve entre les mains sanglantes d'un fou furieux.
Ne pouvant évidemment pas quitter ( avant de se faire exterminer) l'Erythrée pour
le Yémen ou l'Arabie Saoudite , beaucoup se rattachent au pays connu des grands parents, l'Italie , et commence alors l'aventure mortelle que l'on ne peut comprendre que si on a compris la misère et la folie qu'un peuple doit subir et qu'il doit absolument fuir.

Alors, moi Seydoum, j'ai tout perdu jusqu'à mon humanité, je m'enferme dans ma cabane et dans ma tête, je mâche des boulettes de khat, je les arrose de gin, beaucoup de gin, je pars loin dans la défonce.
Des chauves souris entrent dans ma tête, tout est brasier, je descends dans le sadisme, mais, merde, « le môme de vingt ans résiste et ne veut pas disparaitre dans la cuve des chiottes comme le gin. »

Epoustouflant roman, premier roman de Stéfanie Coste « le passeur », avec ses phrases acérées , sa manière percutante d'entrer dans la tête du passeur cynique, son évocation rapide et ciblée des exactions du camp de Sawa, ainsi que de la corruption des différents protagonistes de la côte libyenne à Zaouara, les ONG, le banquier, les gardes côtes, les différents passeurs et leur hiérarchie impitoyable, enfin Seyoum, dont l'auteur rappelle l'enfance presque heureuse à Asmara, la capitale de l'Erythrée. Presque, puisque la guerre de libération avait fait place à la tyrannie et à la folie.
Epoustouflante, l'écriture, la tension, le retrait apparent de l'écrivain, ce qui donne mille fois plus de force à son récit, à la fois dur et sobre, gagnant en force par cette sobriété racontant la folie des hommes, leur appât du gain, leur cruauté et leur sadisme.
Chef d ‘oeuvre, chef d'oeuvre, j'insiste, à lire, et merci aux babeliotes dont Cannetille, Kittiwake ,LaBiblidOnee et Terrainsvagues qui m'ont donné envie de lire « le passeur ».
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