Les visiteurs du soi: A quoi servent les psys?

Certaines blessures sont tellement profondes qu'elles ne guérissent qu'en essayant de soulager celles des autres

Ce sont nos actes plutôt que nos pensées qui nous définissent comme individus. Nos gestes, nos paroles, nos mimiques et l'expression physique de nos émotions nous représentent et traduisent nos pensées et nos arrière-pensées, puisque les processus inconscients du traitement de l'information ne sont pas observables directement.

Si l'on examine avec l'oeil du lecteur du XXIe siècle les études sur l'hystérie de Freud, la plupart des patientes analysées sont, en fait, des personnalités borderline. Elles présentent manifestement tous les critères actuels, y compris un traumatisme d'ordre sexuel. Il se pourrait donc que l'affirmation freudienne de l'origine sexuelle des problèmes névrotiques soit issue de l'observation de patientes borderline qui avaient subi des tentatives de séduction précoce de la part d'adultes ou de véritables viols. En revanche, les extrapolations de Freud à l'ensemble des problèmes psychologiques ne paraissent pas validées par les résultats actuels de l'épidémiologie: seule la personnalité borderline entre dans le modèle.

Devant les déconvenues des travaux expérimentaux qui introduisaient une dissonance cognitive dans les esprits, le groupe des psychanalystes s'est replié sur son système de croyances en diabolisant ceux qui le critiquaient. La réponse était simple: il faut toujours plus d'analyse, et ceux qui ne sont pas suffisamment analysés n'ont qu'à se taire. On se retrouve ainsi devant un modèle cognitif bien connu, celui de Festinger: le modèle de non-confirmation des croyances. Plus une croyance est mise à mal par la réalité, plus le groupe qui la porte considère qu'il a raison, se ferme sur lui-même et devient prosélyte. Le recrutement de nouveaux adeptes devient le seul moyen de perpétuer et de régénérer la croyance.

L'intolérance est souvent de règle dans le monde des psychanalystes. Les conflits à l'intérieur du mouvement s'accompagnent du rejet vers les ténèbres extérieures des autres écoles de pensées. L'intolérance prend parfois le visage des guerres de religion françaises et épouse les vieux contours de l'Histoire.
Je me souviens d'un congrès de psychiatrie, dans les années 1990, ou j'étais invité à présenter les thérapies comportementales et cognitives. J'avais apprécié ce geste œcuménique, mais, le président de séance, un psychanalyste, me fit le reproche de pratiquer des "thérapies d'origine protestante dans un pays fondamentalement catholique". Il me fut facile de lui répliquer que la Réforme n'était pas sans mérite et que la Saint-Barthélemy n'était pas l'action la plus glorieuse de l'histoire de France. Il est frappant de voir que la psychanalyse reste surtout vivace dans deux pays catholiques, la France et l'Argentine.