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Critique de CeCedille


Deux portraits de Thomas More : Celui peint par Holbein le jeune à la cour d'Angleterre en 1527. More a 49 ans. Juriste réputé, il a été appelé au conseil du Roi qui l'envoie volontiers en ambassade où il fait merveille. Il a été trésorier de la Couronne (1521), speaker du Parlement (1523). En 1525, il est chancelier du duché de Lancaster, propriété privée du Roi, fort rémunératrice pour le maître comme pour le serviteur. Bientôt Chancelier du Royaume en 1529, au sommet de sa gloire. le portrait révèle un menton volontaire, une bouche bien dessinée aux lèvres serrées, un nez fort, un regard attentif qui dit la réflexion, l'inquiétude ou la fatigue, comme le suggèrent quelques plis au coin des sourcils. La coiffe retient les cheveux et dégage le front, large, affichant la détermination, comme peut-être l'appréhension d'un avenir funeste. L'érudit de la Renaissance sait les relations de proximité du Capitole avec la roche Tarpéienne.
C'est pourtant un autre portrait qu'a choisi Bernard Cottret, l'excellent biographe de Thomas More, pour la couverture de son livre. Il s'agit d'une copie du premier tableau de Holbein, réalisé par un auteur inconnu, bien postérieur, de la fin du XVIe siècle. L'économie du portait est la même : le chapeau noir, le collier d'apparat sur la chasuble fourrée, la main serrant un parchemin d'un geste nerveux. La tenture verte donne la solennité au cadre. Mais le visage est différent. Il y a bien un air de ressemblance. Mais les traits sont plus fins, le nez droit, le visage plus serein, rajeuni. Et surtout un regard différent qui exprime vivacité et sensibilité, sans doute à cause d'un léger strabisme.
C'est un autre Thomas More qui apparait,celui que décrit bien son biographe dans la première partie de sa vie. Celui de l'auteur de "L'Utopie", écrite pendant un négociation diplomatique qui l'ennuyait. En complicité potache avec l'ami de toujours, Erasme : "les inséparables de l'aventure humaniste" (p. 39) unis pour une amitié de 35 ans jusqu'à leur mort presque concomitante. Érasme participe avec enthousiasme au livre de son ami et lui répond par un canular dédié à son cher "Morus le fou": c'est "L'Éloge de la folie". Avec "L' Utopie" ces livres connaitront la même fortune littéraire. Si l'on y ajoute "Le Prince" de Machiavel, écrit à la même époque, on a le brelan d'as de la pensée de la Renaissance. Peu de siècles commençant peuvent se parer d'un tel blason !
C'est une vie en trois temps que déroule Bernard Cottret. A l'insouciance et à la grâce de la jeunesse succèdent la gravité et l'engagement de l'homme d'État et enfin la disgrâce, vécue avec une détermination fidèle et une noblesse de caractère lui vaudront la plus haute reconnaissance de son église.
C'est la phase enjouée et dynamique de la jeunesse qui est la plus instructive. More traduit Pic de la Mirandole, qu'il admire. Avec Érasme, il traduisent Lucien de Samosate, auxquel ils empruntent le goût de l'éloge paradoxal et l'esprit farceur. Mais cela va plus loin : à la "Déclamation sur le tyrannicide" de Lucien, variations sur la question de la mise à mort des tyrans, More ajoute son mot et Érasme le sien, un demi siècle avant Étienne de la Boétie. Quel est la part de l'exercice de style et de la conviction profonde ? Celle du sophiste et celle du philosophe ?
Thomas More, comme son père est un juriste. Il s'inscrit au Barreau. Il devient l'avocat-conseil de la puissante corporation des merciers qui commerce avec la Flandre. Il est nommé juge de paix du comté de Middlesex. le voila magistrat, comme son père, appelé, comme tel, à siéger au premier Parlement en 1504, ou il obtient le refus de subsides pour le mariage de la fille du roi Henri VII. La mort du roi lui évite les sanctions du roi avaricieux. Puis le voici "undersheriff "au Guildhall de Londres : magistrat des affaires civiles pendant 15 ans. Sa réputation lui vaut d'être appelé par le nouveau roi dans une négociation en Flandre. Il s'y ennuie un peu et se distrait en écrivant son Utopie.
Le voici ferraillant auprès de son roi très catholique contre Luther, comme les meilleur des clercs, qu'il n'est pas. La disgrâce de Wolsey en fait le chancelier d'Angleterre. Henri VIII le fantasque, décidé à divorcer, quitte l'Eglise qui l'empêche d'épouse Anne Boleyn. Déchiré entre la fidélité à son roi et l'obéissance au Pape, voici More dans la zone de turbulences, bientôt enfermé à la tour de Londres au printemps 1534. C'est là qu'il écrit les lettres à sa fille, si touchantes. En faveur de sa cause, sa dialectique fait merveille, jusque dans son refus de prêter le serment de succession. Les actes de son procès en témoignent : il démonte tranquillement toutes les accusations : "Le devoir du bon sujet, à moins qu'il ne se révèle mauvais chrétien, ne saurait être d'obéir aux hommes plutôt qu'à Dieu" (p. 299). Un Antigone catholique et apostolique, en somme.
Mais la justice est celle du roi. Douze jurés, en un quart d'heure, le déclarent coupable. More doit rappeler la procédure pour avoir la parole en dernier, au risque d'exaspérer. Il sera "pendu, puis découpé vif, castré, éventré pour que l'on pût commodément lui brûler les entrailles avant de déposer les quatre parties de son corps aux principales entrées de la ville en réservant sa tête pour le London bridge." (p. 302). Mais il va bénéficier, sur ce point, d'une grâce royale, allégeant le programme des festivités et transformant le supplice en simple exécution à la hache. "Que dieu permette que le roi n'ait pas à faire preuve d'autant de clémence pour aucun de mes amis, et qu'il délivre ma postérité d'une telle grâce" commentera simplement Thomas More.
Il monte courageusement à l'échafaud. "Je remercie Sa Majesté de m'avoir tenu reclus dans cet endroit où j'ai pu amplement méditer sur la fin. Je lui sais gré de me libérer des misères de ce pauvre monde" (p. 305).

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