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Réaliser une biographie de cet homme si prolifique relevait de la gageure. Bernard Cottret a osé le faire. Perso je n'arriverai jamais à être exhaustif dans le cadre d'une chronique. Je vais oublier des trucs. Ca va ressembler à un tableau réalisé par petites touches tapées presque au hasard. D'autant qu'il faut parler de l'homme mais aussi de la façon dont il est évoqué dans ce livre, et parler de son ressenti. Oulaaaa ! Trop dur ! … Bon. Courage. La première chose qui me vient à l'esprit, c'est la bipolarité de More. Cet homme n'a cessé tout au long de sa vie d'être attiré par deux pôles proprement antagonistes : d'un côté il souhaitait s'appliquer une attitude de vie monastique. Il était fan du Livre qui faisait fureur à l'époque (et toujours de nos jours car c'est l'un des ouvrages les plus publiés au monde) « de l'Imitation de Jésus-Christ ». Il a partagé dans sa jeunesse la vie des Chartreux. Passer son existence entre prière, méditation, stoïcisme, bienséance chrétienne. Quel régal, pour lui. La fin de sa vie, emprisonné attendant son procès puis son exécution, lui permettra de renouer avec ce pôle, et il en tirera grand plaisir alors qu'il allait mourir à coup sûr. De l'autre côté, il ne pouvait résister à être un homme qui agit dans le siècle. Il appliqua avec bonheur ses talents de juriste au commerce international de l'Angleterre, puis plus loin à la politique même. More fut par exemple signataire de la « Paix des Dames » orchestrée par Louise de Savoie, mère de François 1er, et Marguerite d'Autriche tante de Charles Quint, qui mit un point final (ou presque) aux engagements français en Italie. Et il fut avant tout chancelier d'Angleterre, probablement le deuxième poste de pouvoir après le Roi. Je place son action d'humaniste, son intérêt pour les sciences ou pour les écrits antiques, ses propres écrits progressistes tels que l'Utopie, de ce côté. On ne peut évoquer son oeuvre humaniste sans parler de sa relation presque symbiotique avec Érasme. Ses deux-là furent les plus grands intellectuels de leur temps, et les meilleurs amis. La présente biographie réserve justement une large place à Érasme et à son oeuvre : « l'Éloge de la Folie » bien sûr, mais aussi la traduction de la Bible depuis le Grec, deux ouvrages qui, tel « l'Utopie », égratignent le pouvoir et les excès de l'Église Catholique. Érasme dédicaça astucieusement l'Éloge de la Folie à More, en notant que Folie s'écrit « moria » en grec (J.R.R. Tolkien a probablement lu le livre) : « J'ai pensé d'abord à ton propre nom de Morus » écrit-il « lequel est aussi voisin de celui de la folie, moria, que ta personne est éloignée d'elle ». Mais le labeur le plus important de More fut dans le domaine religieux, et ce bien qu'il restât profondément laïc. More est contemporain de la naissance de la Réforme Protestante. Si au début de sa carrière il n'hésita pas à s'en prendre aux privilèges des prêtres, il devint le plus ardent défenseur du catholicisme en Angleterre. La majeure part de ses écrits consiste en attaques des thèses réformées et défenses de la hiérarchie catholique. Il s'en prit à Luther et à ses sbires. D'abord il fut triomphant, surtout en tant que chancelier où il n'hésita pas à griller des hérétiques – cette action constitue d'ailleurs la part d'ombre du personnage, difficilement « justifiée » par Cottret. Il était alors soutenu par le Roi Henri VIII. Mais vint le temps où Henri se brouilla à l'Église et le Pape qui refusait de lui accorder le divorce d'avec Catherine d'Aragon afin d'épouser la délicieuse Anne Boleyn . Et Henri coupa les ponts avec Rome et se proposa de devenir lui-même le chef de l'Église d'Angleterre. Et Henri réussit (qui souhaitait s'opposer à lui voyait sa tête détachée de son corps, au mieux). More resta droit dans ses bottes et ses convictions. On se méfia de lui, puis on l'accusa de haute trahison. Il resta droit. Il s'opposa avec tout son savoir juridique aux accusations. Il mit ses accusateurs en mauvaise posture. En pure perte il le savait. Jamais il ne se renia. Il accepta la mort avec joie car en paix avec Dieu et avec lui-même. Cette attitude si digne des plus grands héros tragiques comme Antigone lui valut la sainteté des siècles plus tard. La décortication de ses écrits religieux occupe une large part de cette biographie. C'est peut-être la partie la plus répétitive, la plus ennuyeuse en fin de compte. Mais c'est aussi ici que j'ai appris le plus en ce qui concerne les points de discorde entre les thèses de Luther et celles de l'Église Catholique. Pour finir, je rappellerai qu'une série TV a porté récemment sur les Tudors. Thomas More y occupe une large place. Et je me rend compte à présent à quel point les réalisateurs ont tenu à rester fidèle à l'image de la personnalité (des personnalités ?) hors du commun de cet homme. Cette série est géniale, et historiquement très correcte. + Lire la suite |
Storia Voce - 12 février 2020
Les Tudors: l'âge d'or de l'Angleterre ?
En 1845, la couronne du souverain d’Angleterre Richard III est retrouvée dans la plaine boueuse d’un champ de bataille, sinistre symbole de la chute d’un roi. Les armées du dernier monarque de la maison d’York sont écrasées par celle d’Henri, comte de Richmond. Bosworth signe la fin de la guerre des Deux-Roses, ouvre l’ère d’une nouvelle dynastie. Richard III meurt laissant le trône d’Angleterre à son rival : Henri VII, dit Henri Tudor. Le conflit dynastique s’est conclu dans le sang, après 30 ans de rivalités entre les deux maisons. Mais d’où viennent les Tudors ? Certains voient dans cet évènement, la fin du Moyen-Age anglais et le début de la modernité. Quel crédit accorder alors à cette conception du passé ? Comment expliquer la postérité des Tudors notamment grâce aux films, aux œuvre littéraires, à tous ces arts qui créent la légende et qui nous incitent aujourd’hui à démêler le vrai du faux. Bernard Cottret vient nous parler de cette "dynastie qui a fait l'Angleterre".
L’invité: Bernard Cottret est professeur émérite de civilisation des îles Britanniques et de l’Amérique coloniale de l’Université de Versailles-Saint-Quentin. Membre honoraire senior de l’Institut universitaire de France, il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux mondes anglo-saxons: Calvin, Henry VIII, Cromwell. Publié en 2015, La Révolution anglaise, une rébellion britannique 1603-1660 (Perrin, 2015). Il vient de publier l'histoire de "la dynastie qui a fait l'Angleterre": Les Tudors (Perrin, 2019).