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Critique de berni_29


Écartant le rideau où gisent encore les mots, je quitte ce texte habité par des silences aussi dévastateurs qu'une tempête en Bretagne.
Je ne sais pas s'il faut vous laisser la porte entrouverte, ce récit a un goût totalement inachevé et c'est ce qui fait son charme envoûtant. C'est aussi pour cela que je l'ai aimé.
Ce n'est pas la première fois que Cécile Coulon m'envoûte par son inspiration, je commence à y prendre goût, le venin qu'elle distille dans les pages de ce roman ressemble à un vin délicieux et troublant, certains lecteurs initiés évoqueront les mots de baroque ou de gothique, j'évoquerai un vertige abyssal, ténébreux et sensuel. Qu'importe si cela rappelle de loin Jane Eyre ou de près Rebecca, ou peut-être l'inverse, puisqu'ici il est question d'enfermement, de possession, de peur et de sol qui s'éventre, cela m'évoque tout simplement Cécile Coulon au sommet de son art.
Je referme le livre comme une porte qui vient se sceller sur un univers étrange, en les quittant j'ai l'impression de trahir certains des personnages qui m'ont fait voyager dans leurs coeurs, Aimée, Émeline, Claude, Angelin... J'ai l'impression de les abandonner à leur sort sur cette page finale comme une porte que l'on cloue sur son huis, tandis que derrière elle, des personnages crient encore, raclent l'envers du décor avec leurs ongles, leurs griffes, leurs gestes, leur désespoir, leur chagrin... pour qu'on ne les oublie pas.
Seule en sa demeure est un roman animé par une forme d'intemporalité, alors qu'il y a un lieu, des dates, des repères qui raccrochent l'histoire à quelque chose de concret, ne serait-ce que de la boue, des branches, la pierre froide d'un seuil, la forêt au loin qui laisse passer le ciel entre ses ramures comme pour nous rassurer, nous faire croire un instant que la vie existe encore. Seule en sa demeure est un paysage presque onirique après la brume, celle qui s'estompe, faisant apparaître une maison, une demeure justement, cossue et pas forcément très accueillante, où Aimée s'apprête à vivre unie désormais pour le meilleur et pour le pire auprès de son riche propriétaire, un certain Candre Marchère. Un mariage arrangé vient de les unir comme il en existait tant au XIXème siècle puisque nous y sommes, précisément à la fin de ce siècle-là, là-bas dans le Jura... Je dis là-bas, parce que je suis totalement à l'ouest en vous écrivant ce billet...
Aimée se heurte aux silences de cette demeure, aux silences de son époux, aux silences de ce lieu comme on se heurte à des murs en essayant de tâtonner, de trouver son chemin dans les ténèbres. Aimée n'est pas la première épouse de Candre Marchère. Il est veuf...
L'endroit devient peu à peu menaçant alors qu'il n'y a pas vraiment de raison objective d'avoir peur, si ce n'est que cette peur ressemble à de l'angoisse, c'est-à-dire qu'elle, Aimée, et nous aussi avec elle, ne savons dire pourquoi nous sentons, ressentons cela comme quelque chose de plus en plus oppressant au fur et à mesure que les pages défilent sous nos yeux, que le sol tremble sous nos pas apeurés...
Et puis vient Émeline, professeure de musique, le personnage que j'ai préféré du roman... Ah ! Comme j'aimerais être initié à la musique par cette femme ! Aimée croit reconnaître en elle quelqu'un qui viendra enfin effleurer son âme, la comprendre, la sauver, l'aimer peut-être. Aimée, pas aimée...
Les pages de ce livre sont hantées par des cris d'oiseaux, par le bruit de la nuit, par le mouvement des feuilles mortes qui s'entassent sur le sol, par un goût de terre et de ronces qui abiment les seuls gestes qui voudraient s'éprendre de désir, par les non-dits et les secrets...
Pourtant j'ai cru reconnaître, dans ce texte inachevé comme l'est parfois la vie, nos vies, ce bruit de l'amour lorsqu'il s'en va, fuyant entre la terre et les feuilles mortes qui jonchent le sol...
Ce texte est un brasier, pour peu qu'on soulève la brume du paysage, comme un rideau, là où seuls demeurent les mots de Cécile Coulon...
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