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Critique de ClaireG


Comment le poids du passé peut-il altérer ou non des vies familiales ? Les enfants des criminels du IIIe Reich ont-ils le recul nécessaire pour juger des actes de leurs pères ? Si oui, peuvent-ils continuer à les aimer, à porter leur nom, à vivre dans des souvenirs heureux ou, au contraire, peuvent-ils les condamner et rejeter la culpabilité ?

Ce sont quelques-unes des questions posées par Tania Crasnianski, avocate pénaliste, sur le sort réservé aux enfants de huit dignitaires nazis les plus proches d'Hitler. L'auteure a eu l'idée de se pencher sur le sort de ces enfants lorsqu'elle apprit que le petit-neveu d'Herman Göring s'était converti au judaïsme et que le fils de Martin Bormann, secrétaire personnel et bras droit d'Hitler, qui abominait l'Eglise catholique, était devenu prêtre.

Pratiquement tous ces enfants vivaient heureux et choyés dans de luxueuses villas éparpillées dans l'Obersalzberg (Bavière), montagne ultrasécurisée où le Führer rassemblait ses fidèles sujets. Ils jouaient comme tous les enfants du monde, ignorant tout de la guerre et surtout du rôle joué par leurs parents.

En mai 1945, un cyclone s'abat sur eux. Ils ont entre un et quinze ans. Plus de jouets rutilants, plus de domestiques, plus de nourriture abondante, plus de chambres séparées, tout est confisqué, ils sont chassés et doivent occuper de tout petits logements où leur mère est arrêtée et emprisonnée. Dès lors, comment grandir dans de bonnes conditions lorsque des directeurs d'école refusent leur inscription, lorsque plus tard, des employeurs leur ferment leur porte à cause du nom maudit qu'ils portent, lorsque régulièrement ils subissent l'opprobre des populations, lorsque la misère, la honte, la déchéance ou la solitude s'empare de leurs vies ?

Nombreux parmi ces hommes machiavéliques semblent avoir été des modèles de pères et plus les enfants ont été aimés, plus ils voudront garder le souvenir intact et lisse, niant ainsi les exactions de leur géniteur. C'est le cas des filles uniques de Himmler (zélateur de la solution finale) et Göring (ministre de l'Aviation et maréchal du Reich). Toutes deux gardent une adoration pour leur père et une adhésion à leur idéologie.

Le livre relate, sans aucun jugement, ce que Hannah Arendt a appelé la banalité du mal : pour être parmi les pires criminels de l'Histoire, il n'est pas nécessaire de l'être aussi à la maison. Tous les enfants ont gardé le nom de leur père et ont continué/continuent à vivre en Allemagne, sauf le fils de Joseph Mengele, le médecin tortionnaire d'Auschwitz, qui a pris, sur le tard, le nom de son épouse pour ne pas infliger le poids du passé à ses enfants.

Tania Crasnianski tente d'analyser les divers comportements qu'ont eus les enfants des lieutenants d'Hitler. Entre la détestation de Niklas Frank envers son père Hans, gouverneur cupide de la Pologne, et l'adulation de Gudrun Himmler, il y a d'autres réactions : celle d'Edda Göring qui lutte depuis toujours pour réhabiliter son père. Comme Wolf Rüdiger Hess, dont le père, favori d'Hitler, a voulu, seul, faire la paix avec les Britanniques et a été emprisonné durant toute la guerre. Les enfants de Rudolf Höss, commandant d'Auschwitz dénué de morale et exécutant purement et simplement les ordres, ont émigré au fil du temps, après avoir vécu dans le déni ou la minoration du rôle de leur père. Les enfants d'Albert Speer, architecte d'Hitler et nazi de la première à la dernière heure, ont connu la déception absolue lorsque leur père a refusé leur visite à la prison de Spandau. Il n'a jamais voulu répondre aux questions de ses enfants. Son fils aîné, Albert Speer Jr, est un architecte de renom. le parcours de Rolf Mengele est différent en ce sens qu'il croyait son père mort. Il n'a appris qu'à seize ans que celui qu'il prenait pour son oncle était, en fait, son père et se terrait en Amérique du Sud où il a fini par retrouver ce héros tant vanté par sa mère, dépressif et rongé par la peur d'être retrouvé. Jamais Mengele n'a exprimé le moindre remords face à ses abominations et resta fidèle à ses idéaux. Il n'eut jamais à répondre de ses actes.

Si les psychiatres n'ont jamais pu déterminer une personnalité commune aux criminels nazis, ils leur reconnaissent cependant des points communs : aucune empathie et une mémoire défaillante qui impliquerait remords et regrets. Leur point de vue et leur fanatisme sont leur seule morale.

Très bien documenté et expliqué, cet essai pose les questions essentielles à propos de la responsabilité des parents et de la culpabilité dont pourraient hériter les descendants de nazis. La première génération a vécu sous le choc des révélations, de héros les pères sont devenus des bourreaux haïs à jamais ; la suivante a le recul nécessaire en raison de l'éloignement d'avec les parias de leur famille. Pas de réponse définitive, bien sûr, mais des pistes de réflexion personnelle pour chacun.

Tania Crasnianski estime qu'il est important d'apprendre aux enfants d'aujourd'hui cette période de l'Histoire pour qu'ils comprennent comment et pourquoi l'horreur absolue a pu exister, ce qui ne signifie en aucun cas justifier ou adhérer à l'une quelconque des thèses du nazisme.
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