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Critique de Laureneb


Céleste, pour moi, c'était surtout une voix : la voix d'une vieille femme dans un enregistrement chevrotant, mais qui, malgré la distance des années, semblait encore pétiller de malice, avec un sourire en coin. Mais, surtout, ce n'était pas une personnalité unique, singulière en elle-même. C'était "la gouvernante de Marcel Proust" dit-on aujourd'hui alors qu'il n'y a plus de servante.
Or, dès la très belle couverture de ce roman graphique, on comprend que Chloé Cruchaudet veut rendre toute sa présence à Céleste, qu'elle veut la faire exister en soi. Oui, Proust est présent sur la couverture, évidemment ; avec cette photo devenue iconique. Mais on ne le voit pas en entier alors que Céleste, elle, est représentée de tout son corps, à taille plus humaine aussi, moins écrasante, avec sa tasse de café pour le Maître, ses brouillons, son regard d'admiration. Elle va nous faire entrer dans l'intimité de l'écrivain grâce à la médiation de son regard, tout en nous révèlant des choses sur sa vie à elle. Voilà ce que je vois et lis sur la couverture.
Céleste est donc un personnage, avec sa naïveté et son absence des codes du grand monde, sa timidité, la nostalgie de sa province campagnarde natale... J'ai parfois pensé au Journal d'une femme de chambre, où une autre Célestine sert ses maîtres, les observe et les critique. Mais, ici, il n'y a pas d'envie ni de désir d'ascension sociale ou de revanche, Céleste admire Marcel Proust.
On voit donc un écrivain écrire, dans son intérieur, dans ses sources d'inspiration. L'autrice a habilement placé des citations de la Recherche en lien avec les événements du texte, ou des lettres à Gallimard.
C'est aussi une très belle oeuvre dessinée, notamment par le choix des couleurs, le vert sombre et le violet. Ces couleurs permettent de distinguer la vie réelle faite de feu de bois à allumer, de mouchoirs à repasser..., toutes les tâches dont doit s'acquitter Céleste, et le monde des sensations qui suscitent le souvenir, et donc, in fine, l'écriture - comme la biscotte trempée dans le lait qui fait remonter le souvenir d'enfance. Les couleurs mettent donc en valeur l'écriture et le texte de la Recherche qui s'écrit - et se dessine - devant nous. Il y a aussi de belles trouvailles graphiques, comme la représentation de l'appartement de Proust comme une falaise isolée, coupée du monde, ou l'illustration de l'idée que le Grand Hôtel normand est un aquarium, dont les poissons sont les riches occupants observés par les promeneurs ordinaires de la jetée derrière les vitres.
Un format qui permettra peut-être de convaincre ceux qui n'osent pas encore lire Proust, car accessible, facile à comprendre, avec de belles illustrations ; et qui dresse un portrait de Proust loin de la réputation d'auteur compliqué, réservé à l'élite : on le voit proche des nobles comme des ouvriers, attentif à ses employés, drôle, acteur et imitateur, maniaque, amoureux... Il le restitue aussi dans son époque historique, la Grande Guerre, les voitures anciennes, les débuts du téléphone...
Très belle découverte, vivement le 2ème tome.
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