Mais elle s'énerve de nouveau et me demande de retirer le collier de fleurs hawaïen « ridicule » que j'ai l'habitude de mettre autour du cou lors de nos discussions vacances pour trouver l'inspiration sur notre lieu de villégiature.
Après que j'ai mené un travail de persuasion de longue haleine, une politique à petits pas et d'interminables discussions métaphysiques sur le sens de la vie à deux depuis la période présocratique, Claire a finalement accepté de me donner une seconde chance.
Si nous sommes perdus en pleine rue, elle sera autorisée à demander des informations aux gens pour nous guider. Un signe de défaite et d'asservissement que je n'ai jamais pu accepter. Je préfère persister et persévérer dans l'erreur. J'ai travaillé sur moi, sur mes peurs, sur mes complexes. J'accepterai pour Claire et la survie de notre couple de faire entrer une personne étrangère dans notre bulle d'intimité pour nous orienter et nous donner le bon chemin pour se rendre dans sa famille proche et me faire lobotomiser par ses parents.
Nuit blanche. Maîtresse des opérations. Je n'ai pas eu mon mot à dire. Elle ne répondait à aucune de mes questions sur mon avenir avec Claire et les erreurs que j'avais pu commettre. Les défauts de cuisson du risotto, la consommation de nouvelles drogues de synthèse dans la boîte, les risques pesant sur les pays émergents : idem. Pas un mot malgré mes relances pendant l’acte impur. Une vraie bougresse. Se promenant nue dans la chambre sans la moindre gêne alors que j'étais encalminé dans les draps comme une fajita au boeuf fraîchement préparée. Se servant des alcools forts dans le minibar, les mélangeant sans précaution alors que je buvais une eau gazeuse à la paille avec une rondelle de citron vert demandée à la réception.
Il est resté très soucieux de tout ce qu'il ingurgite, de l'impact calorique sur son organisme, des vitamines nécessaires à son épanouissement personnel, de la qualité du produit ; celui dont on chante les louanges au singulier pour vanter son unicité, celui qui se retrouve au cœur d'un violent affrontement entre l'agriculteur indépendant à l'accent chatoyant et la grande distribution aux visées impérialistes, celui qu'on savoure avec l'impression de revenir à la révolution néolithique et à la domestication de l'animal par l'homme.
« Bon, Éric...
- Tu ne veux pas en profiter pour pleurer un peu avec moi ? me demande-t-il, le nez pris.
- Non, pas particulièrement... Je ne trouve pas de motifs suffisants pour déclencher une crise de sanglots, là... Laisse-moi peut-être réfléchir deux minutes.
Pas d'ascenseur et des escaliers très pentus dans le nouvel immeuble. Les jeunes déménageurs qui ont fixé les lourds cartons à leurs dos avec des cordelettes reliées à leurs épaules sont à bout de souffle lorsqu'ils atteignent l'appartement. Je leur signale amicalement qu'ils me rappellent dans leur gestuelle et leur habile façon de gravir les escaliers de jeunes Péruviens croisés au Machu Pichu lors d'un voyage en Amérique latine avec une association humanitaire, Terres Solidaires, pour enseigner des techniques que je ne maîtrisais pas de mosaïque, céramique et poterie. Ils se mettent à m'insulter copieusement alors que je n'avais pas entendu le son de leur voix depuis le début du déménagement. J'essayais seulement de créer une complicité entre nous, d'insuffler un esprit d'équipe, dans cette aventure matinale.