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Citations sur Souvenirs de Starobielsk (8)

J'ai un petit livre, sauvé de nombreuses fouilles, qui ne me quitte pas. Une reliure rose avec un marin imprimé maladroitement en noir et une inscription : "Marin rouge, papier à fumer SoÏouzkoulttorg", contenant quelques dizaines de petites feuilles transparentes de papier à cigarettes, sur lesquelles sont inscrites les poésies de Piwowar (poète d'avant garde qu'il a connu à Cracovie), dans le camp, avec son écriture minutieuse et égale.
... Il me lisait cette poésie, debout dans la neige mouillée, au crépuscule, au seuil d'une des baraques enfumées et bondées, dans un moment où nous étions les plus éloignés de toute capacité de transposer ce que nous avions vécu.
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L'effort intellectuel, sans livres, sans notes, donne des sensations tout à fait différentes de celui qui a lieu dans des conditions normales. C'est la mémoire involontaire qui agit avec plus de force et dont parle Proust, la considérant comme source unique de la création littéraire. Après un certain temps émergent à la surface de notre conscience des faits, des détails dont on n'avait pas la moindre idée qu'ils fussent "emmagasinés" quelque part dans le cerveau. Et puis, ces souvenirs qui viennent de l'inconscient, sont plus fondus, plus intimement liés les uns aux autres, plus personnels.
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On ne pardonna jamais à l'abbé Aleksandrowicz l'activité déployée dans notre camp pendant les trois premiers mois de notre internement. Quelques jours avant Noêl, il fut brutalement emmené. On le saisit pendant la nuit avec le surintendant Potocki et le rabbin de l'armée polonaise Steinberg.
Tous les trois ont disparu.
Nous savons seulement qu'après quelques semaines de prison à Moscou, on les enferma à Kozielsk, dans une tour isolée pour les déporter ensuite dans une localité inconnue.
Pendant leur séjour chez nous, ils avaient fait preuve tous les trois d'un véritable esprit de tolérance religieuse. Pour ces prêtres, nous n'étions pas des hommes appartenant à des confessions différentes qui se combattaient, mais des malheureux à qui il fallait apporter le réconfort de la religion.
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Je me souviens d'un épisode raconté par le docteur Dadej à Starobielsk. Après la catastrophe de septembre, en proie à un profond accablement, marchant dans les rues de Tarnopol, il fut abordé par un inconnu, un vieux juif qui lui dit : "Monsieur, pourquoi êtes-vous si triste ? Un pays qui a eu Mickiewicz et Chopin ne peut pas mourir." Il me répéta plusieurs fois avec émotion ces simples mots de réconfort qu'un inconnu lui avait adressés.
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Cette vie entre étrangers, entassés les uns sur les autres, fut pour moi une épreuve bien sérieuse. Le manque de solitude pesait plus que la saleté, la faim ou les poux. Au début, on remarquait surtout le relâchement, la déchéance morale de ces hommes jadis si satisfaits et sûrs d'eux-mêmes. C'était comme si,en échangeant leurs élégants uniformes contre des vêtements sales et fripés ou des blouses soviétiques, ces malheureux étaient devenus eux-mêmes des chiffons.
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Préface de Gustaw Herling
"Les "Souvenirs de Starobielsk ont été vécus par un Polonais, médités par un Européen, et écrits par un peintre. L'ambition de Czapski visait à réunir trois stimulants différents, séparément aucun d'eux ne suffirait à produire quelque chose de plus qu'un simple documentaire. Pourtant ce petit livre si intime, dont les paroles et les idées apaisent le coeur, dépasse de beaucoup le cadre de ce qu'on appelle en URSS une "commande sociale". Nous y trouvons un noble sentiment national, un esprit droit et une observation passionnée. Ce livre écrit modestement et avec peine, inégal comme style et parfois incolore jusqu'à la pauvreté, est en même temps ardent et intime. Cette atmosphère d'intimité est plus expressive que les documents les plus sensationnels.
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Ce qui m'a frappé à Léopol, c'est cet élan spontané de la rue, ces manifestations de fraternité et de tendresse pour une poignée d'officiers polonais profondément humiliés, désarmés et entassés sur un camion soviétique.
Puis, ce fut la ville de Tarnopol, couverte de drapeaux et d'écriteaux. C'étaient les jours où la majorité de la population ukrainienne saluait encore avec enthousiasme l'armée soviétique. On nous conduisit dans le bâtiment de l'école, situé devant l'église qui était ouverte et bondée de fidèles. Lorsqu'on nous fit entrer dans le bâtiment, je remarquais au milieu de la foule qui nous regardait un tout jeune couple : une jeune fille et un jeune garçon, âgés tout au plus de quinze ans. Cheveux blonds soigneusement peignés. habillés modestement, ils restaient là en silence à nous contempler, avec une si grande attention, une si intense douleur et honte, qu'il me sera difficile d'oublier ces yeux d'enfants.
Lorsque nous quittâmes à l'aube Tarnopol, sous la pluie et pataugeant dans la boue, une femme qui voyageait sur une misérable charrette s'approcha de nous, les larmes aux yeux, en nous forçant d'accepter une couverture chaude et un manteau.
Excepté un paysan ukrainien, qui nous jeta un regard chargé de haine et grommela un juron, je ne me souviens d'aucun geste d'inimitié de la part de la population ukrainienne. Même les habitants de pauvres chaumières, où les troupes avaient mangé toutes les victuailles, nous apportaient du lait et du pain.
De Tarnopol on commença à nous pousser vers Woloczyska. En chemin d'autres colonnes d'officiers s'unirent à la nôtre. Parmi ces prisonniers se trouvait le général Plisowski, le même qui, il y a vingt-deux ans, traversa avec son escadron la Russie en révolte et rallia notre corps d'armée de l'est. Il était désormais difficile de se faire encore des illusions. La colonne des prisonniers s'allongeait sans cesse ; beaucoup de captifs défaillaient en cours de route, mais je ne constatai pas encore alors qu'on essayât d'achever quelqu'un . Je fus le témoin de menaces, du reste non exécutées.
Nous poursuivîmes la marche sur la grand-route, en traversant de vastes étendues de champs de chaume. La route était bordée de statues de saints, de croix brisées et renversées par les armées soviétiques. Nous franchîmes ainsi la frontière. Un pont sur la rivière Zbrucz, d'un côté une croix très haute au milieu d'une grande plaine de champs vallonnés, de l'autre côté une petite ville sordide.
La première ville soviétique : Woloczyska. Un autre monde. De misérables et laides maisons : elles avaient l'air de n'avoir jamais été réparées. La célèbre électrification, dont on avait tant lu dans de belles éditions de luxe : de rares ampoules électriques clignotant d'une lueur rougeâtre et faible, le profil de Staline au néon rouge, au milieu d'un misérable petit square ; c'était tout.
Exténués jusqu'au dernier point, moralement et physiquement, dans un froid cruel d'automne, deux mille officiers furent amassés dans deux étables déjà bondées de deux mille soldats.
La première nuit hors de la Pologne. Les militaires polonais étaient réduits à une cohue d'hommes, empilés dans ces étables, abrutis par le malheur, écrasés moralement. On était plongé dans l'obscurité, et lorsqu'on fermait la porte l'air devenait irrespirable pour ceux qui se trouvaient au fond. Si on se risquait à l'ouvrir, le froid était trop vif pour ceux qui s'entassaient près de la sortie. Cela provoquait dans l'obscurité de vives altercations : " Fermez la porte " - " La mauvaise odeur n'a jamais tué personne " - " Ouvrez la porte. On ne peut plus respirer " - " Ces rustres sont nés dans une porcherie ".
Nous écoutions dans l'obscurité, en proie à une profonde humiliation, ces injures et ces querelles. Mais soudain quelqu'un se mit à chanter :

- A ta protection, Père du Ciel,
Tes enfants confient leur sort.
Bénis-les et aide-les dans la nécessité,
Et sauve-les du mal, lorsqu'il sont menacés.

Et tout ce monde, dans l'étable, comme un seul homme, se mit à chanter ce cantique. Il y avait dans ce chant un élan enfantin, une ferveur de foi et de larmes, un tel cri de supplication dans la dernière phrase . " Tu es notre bouclier, ô Dieu notre Père ", et une telle union spontanée, qu'on éprouvait une sensation presque physique de la soudaine transformation intérieure opérée en chacun par l'ancien cantique. Et depuis, il a toujours éveillé en moi, toutes les fois que je l'ai entendu, dans les camps de Russie, en Iran ou en Irak comme un souvenir d'hier d'un monde d'une autre dimension, l'impression éprouvée dans l'étable de Woloczyska.
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Préface de Gustave Herling-Grudzinski.

J'avais toujours la conviction, sans y mettre la moindre présomption nationale, que les Polonais intelligents seraient capables plus que les autres d'informer l'Europe sur la Russie. Car ce n'est pas une question de savoir, mais d'une somme énorme d'expérience, non pas d'études, mais de clairvoyante vigilance. Il est plus difficile et en même temps plus facile de comprendre la politique russe que toute autre politique. C'est pourquoi, si nous avons quelques experts en politique britannique, nous avons des millions d'experts en politique russe. Le regard du Polonais sur la Russie est perçant et sévère, car il touche au principe même de l'existence biologique. Au XIXème siècle, n'importe quel hobereau, pouvant à peine lire et écrire, comprenait ce que renferme le mythe russe du panslavisme.
( . . . )
Notre " retour de l'URSS " est un phénomène aussi vieux que le voisinage polono-russe. Il est marqué comme d'habitude par des milliers de tombes de déportés et une poignée de ces heureux qui ont miraculeusement réussi à retourner à ce monde, ce monde toujours surpris et méfiant.
C'est pourquoi j'aurais fait mieux peut-être de ne pas dire que les " Souvenirs de Starobielsk " ont été écrits par Czapski. Ils ont étés écrits par quelques milliers d'hommes que nous ne reverrons jamais. Czapski les a seulement portés sur notre rive plus abritée.
Ces hommes, ne se lassant jamais de penser à la Pologne, remarquables par leur intégrité et l'ardeur de leurs sentiments, si nobles dans la misère, ne pouvaient choisir un meilleur messager.
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